Prétention artistique, ou un trop-plein d'intentions ?


J'ai toujours su que cette saleté de guerre n'aurait pas de fin.



Un château en enfer de Sydney Pollack est un film sur la Seconde Guerre mondiale très étrange, significativement poétique, onirique et bizarre qui se présente comme une allégorie sur la futilité de la guerre dans une forme très généreuse qui veut surfer sur tellement de thèmes en même temps à travers des symbolismes multiples et divers que cela en devient confus. Les nombreuses significations abordées sont pour la plupart profondes, seulement le film ne fait rien dans la dentelle en nous envoyant tout à la figure sans la moindre finesse, si bien que le récit en devient surréaliste avec des parties tellement chimériques que le constat final s'affiche comme étant artificiel et irréel. La dramaturgie est belle et bien présente, mais le scénario est désordonné et indistinct empruntant des thèmes sur la guerre très sérieux, fatalement coupée par des séquences comiques absurdes qui annihilent la plupart des intentions dramatiques du récit.


Un château en enfer présente une intrigue simple mais significative impliquant une unité de soldats américains qui depuis un château belge des Ardennes datant du 10e siècle vont devoir stopper la progression de plusieurs troupes Allemandes. Dans un premier temps intrigante, l'histoire à finalement du mal à prendre en se perdant dans une hallucination féérique et nihiliste qui jusqu'à la fin de la seconde moitié du récit, qui correspond au moment où la confrontation contre les Allemands démarre, prend beaucoup trop de place. À ne pas vous y méprendre, Un château en enfer est un film d'une générosité extrême dans ses propositions et c'est bien là le problème car on explore tellement de thématiques qui se conjuguent mal les unes avec les autres, à un point, où on en vient à s'y perdre. On ne sait pas si on doit rire, pleurer, être inquiet ou épaté tant tout s'enchaîne par alternance de genre. Cela à pour conséquence de me laisser songeur quant au statut du film qui finalement se pose comme une satire dramatique/comique/onirique/fantasmagorique sur les affres de la guerre.


On explore beaucoup d'aspects évocateur, expressif, artistique et surtout pessimiste comme avec le bordel "La Reine Rouge" dans lequel des prostitués se posent comme des statues de beautés de chair à travers des positions affriolantes sous un contraste au filtre rouge vif laissant entendre que les soldats s'abandonnent à une autre aberration symbolisée par la luxure totale pour mieux oublier celle représentée par la guerre. D'une manière moins absurde on explore la pérennité d'une vie sans guerre avec le soldat "Rossi" (Peter Falk) qui trouve une boulangerie qui correspond à tout ce qu'il a toujours voulu avoir : un commerce honnête, une femme et un fils. Toutes les raisons du monde pour abandonner les armes rassemblées en un seul endroit et qui malgré tout ne seront pas suffisantes pour lui faire tourner le dos à la folie des hommes. Le rôle de l'église via la foi et la religion joue également un rôle par le biais des objecteurs de conscience qui en dépit d'un pacifisme absolu ne parviennent pas à trouver une solution à la guerre. Même la logique du "capitaine Beckman" (Patrick O'Nail) animé de bonnes intentions en voulant préserver le château qui représente un pant historique important avec ces oeuvres d'art, ainsi que la vie des hommes de son unité et des villageois ne suffisent pas à stopper l'inévitable.


Visuellement, Un château en enfer à de la gueule avec son environnement hivernal magnifique avec pour centre narratif un château qui sur le plan artistique représente l'humanité à travers l'art symbolisé par une architecture flamboyante avec de nombreuses sculptures et peintures. Sur le plan technique, la réalisation de Pollack fonctionne efficacement durant les scènes d'action qui sont impressionnantes comme durant les fusillades sur la tourelle contre des avions qui a de quoi tenir en haleine. L'ensemble des actions sont de bonne factures avec des séquences de destruction surprenantes. La composition musicale de Michel Legrand est bizarroïde avec des titres excentriques qui n'aident pas beaucoup le long métrage. Un titre arrive tout de même à sortir du lot, avec des percutions de corde particulièrement saisissante.


La distribution est impressionnante avec des pointures comme Burt Lancaster, Patrick O'Nail, Peter Falk ou encore Bruce Dern. Malgré la première partie qui prend son temps à travers beaucoup de dialogue, on survole la plupart des soldats de l'unité ainsi que les personnages annexes ce qui fait qu'on se soucie d'aucun d'eux, sauf pour Peter Falk dans le rôle de Rossi, Patrick O'Nail pour celui du capitaine Beckman, Jean-Pierre Aumont pour le comte de Maldorais et enfin Burt Lancaster sous les traits du Major Abraham Falconer. Burt Lancaster a beaucoup de charisme avec son oeil en moins, il est appréciable de découvrir que son personnage est impénétrable à tout ce qui l'entoure, se fermant à la moindre croyance et espérance de pouvoir sortir vivant de cette guerre. Finalement, seule la comtesse "Thérèse", incarnée par la jolie Astrid Heeren qui ne brille pas beaucoup à cause de l'écriture minimaliste autour de celle-ci, lui permettra d'espérer une vie meilleure après tout ça. J'aime beaucoup Burt Lancaster dans ce rôle.


CONCLUSION :


La guerre selon Sydney Pollack est une force destructrice immense qui ravage tout sur son passage et qui ne trouve aucun salut à cause de la stupidité des hommes. Seul l'imagination de chacun permet encore une humanité qui ne permet à aucun moment de s'émanciper du problème, seulement de le contourner. La réponse se trouve peut-être dans les femmes représentées ici par la boulangère, ou encore la comtesse, toutes deux ayant enfanté de nouvelles vies, choisissant avant tout la vie à la mort laissant espérer un meilleur avenir pour tous.


Un château en enfer est un film de guerre d'une générosité absolue qui souffre d'un trop-plein d'intentions qui en font une oeuvre artistique terriblement surchargée ayant pour conséquence de rendre le tout instable. Heureusement, les qualités venant de la seconde moitié du récit durant la confrontation parviennent à ne pas gâcher pleinement l'expérience.

B_Jérémy
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le 21 mai 2021

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