Un village isolé accablé par une pluie perpétuelle, une aïeule semi-momifiée aux tendances cannibales, le secret bien gardé d’un trésor maudit… Dès l’introduction, tous les ingrédients sont là pour planter un décor sans équivoque. Ici, pas de descente progressive aux enfers, pas d’irruption subite ou subtile du surnaturel : le poids de la damnation pèse sur le héros depuis son plus jeune âge. Si le film fait globalement le choix de montrer plutôt que de suggérer, il sait néanmoins laisser l’horreur se faire désirer, la confinant à son terrier funeste d’où elle ne saurait sortir pour tenailler les humains… si ceux-ci n’allaient pas directement à elle, aveuglés par l’appât du gain.


C’est donc un argument moral qui est au centre du scénario, puisque le mal ne frappe pas au hasard : ce sont les péchés des hommes qui les y exposent. Celui d’avarice, d’abord, mais aussi celui d’orgueil, pour avoir osé défier un démon. Ainsi, comme Ashtar fut puni par les autres dieux pour sa cupidité, ceux qui tentent de s’approprier sa fortune subissent à leur tour le même sort. Pour autant, la dimension philosophique de Tumbbad reste relativement superficielle, puisque les personnages eux-mêmes sont peu développés. Il s’agit donc bien plus là d’un conte, à la fonction allégorique, que d’un scénario au fil duquel on s’attache véritablement aux protagonistes.


Cette sensation est renforcée par le découpage du film en trois chapitres, espacés de quinze ou vingt ans, qui permettent, plutôt que de voir grandir et évoluer le héros, de livrer trois moments-clés de sa destinée, tous en lien avec le trésor qu’il revendique. Ainsi, il n’existe pour ainsi dire pas en-dehors de sa relation à l’argent, dont il ne semble d’ailleurs pas vraiment profiter, l’accumulant sans motif ni conviction : cela, déjà, marque une première condamnation, l’assèchement de sa vie. Toutefois, ce chapitrage est aussi l’opportunité de voir se tisser l’histoire de l’Inde, sous le joug colonial puis au moment de sa libération, superposant une autre intrigue de vaine avidité.


Pour ce qui est de la forme, Tumbbad s’en tire honorablement, en ne se laissant aller qu’une seule fois à la facilité d’un jumpscare, et en proposant des plans soignés et une musique épique qui savent instiller une ambiance pesante et parfois grandiose. Le seul véritable bémol concerne la qualité discutable des images de synthèse, notamment employées pour l’introduction et le dénouement du film. Cependant, comme leur utilisation reste ponctuelle, elles ne suffisent pas à gâcher l’expérience de visionnage. Le film évite par ailleurs de verser dans le gore, malgré quelques éléments de body horror dans sa première partie, et reste donc assez largement accessible.


Ce premier long-métrage de Rahi Anil Barve a ainsi de quoi se défendre. S’il pourrait être raffiné du côté de l’écriture des personnages (et du jeu d’acteur qui en découle), son langage esthétique sait faire mouche, à mi-chemin entre la grandiloquence qu’on associe volontiers à Bollywood et l’atmosphère intime de l’horreur. On tient donc là un nouveau venu à surveiller.


[Rédigé pour EastAsia.fr]

Shania_Wolf
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le 22 sept. 2019

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Lila Gaius

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