TU MÉRITES UN AMOUR (15,5) (Hafsia Herzi, FRA, 2019, 90min) :


Dès son premier long métrage, Hafsia Herzi nous offre un éblouissant portrait d'une jeune femme qui tente de se libérer d'un amour toxique, gangrené par l'infidélité de son petit ami. Une réussite.


3 septembre 2007. Le palais du cinéma de Venise situé sur le Lido découvre sur l'écran géant de la Sala Grande, la jeune princesse manosquine Hafsia Herzi, héroïne féminine du remarquable La Graine et le mulet de Abdellatif Kechiche. En quelques scènes inoubliables (notamment une danse du ventre d'anthologie) la présence magnétique de l'actrice débutante séduit le jury de La Mostra de Venise qui lui attribue le Prix Marcello-Mastroianni (récompensant le meilleur espoir), avant de recevoir également le César et le Prix Lumières du Meilleur espoir féminin en 2008. Depuis douze ans, elle poursuit sa route avec audace, enchaîne les projets avec une indépendance d'esprit caractéristique illuminant ainsi les «pellicules» de Alain Guiraudie (Le roi de l'évasion 2009), Raja Amari (Les Secrets 2009), Radu Mihaileanu (La Source des femmes 2011), Bertrand Bonello (L'Apollonide : Souvenirs de la maison close 2011), Hiam Abbass (Héritage 2012), Sylvie Verheyde (Sex Doll 2016) et retrouve son mentor Abdellatif Kechiche à travers les deux premiers volets du projet Mektoub my love (2017/2019). Chacune de ses apparitions devant la caméra révèle une double face lumineuse et mélancolique, dont elle tente de se servir pour nourrir une première aventure derrière la caméra par le biais de son court métrage Le Rodba sorti en 2010. Huit ans plus tard en douce, lors de l'été 2018 l'apprentie réalisatrice renouvelle l'expérience (avec peu de moyens et une petite équipe technique) en écrivant, réalisant et produisant elle-même son projet de premier long métrage : Tu mérites un amour. Cette fiction sélectionnée in extremis pour le Festival de Cannes 2019, dans le cadre de la Semaine de la critique, se voit offrir judicieusement une séance spéciale, dont l'exaltante standing ovation finale secoue encore les vagues de la croisette, emportées par l'âme de ce film, qui débarque à présent sur les plages horaires de vos salles obscures.


Tu mérites un amour, ce magnifique titre générique, (emprunté avec délicatesse à un poème de Frida Kahlo), tel un mantra en forme de moulin à prières invite directement le spectateur à la bienveillance. Et d'entrée la caméra mouvante capte en format Scope un quartier populaire parisien, où Lila marche d'un pas rapide vers l'immeuble où habite son «boyfriend» Rémi, bien décidée à élucider de vive voix avec lui quelques doutes sur sa fidélité. L'aspect naturaliste de l'image brute et le cadre choisit pour illustrer la perdition sentimentale de la jeune femme dénote d'emblée de «je», une ambition et une acuité cinématographique étonnante. Tout au long du film Hafsia Herzi propose une vibrante mise en scène très maîtrisée toujours au diapason des sentiments et d'un authentique récit contemporain à la liberté de ton réjouissante sous la forme d'une pertinente radiographie complexe et sociétale de nos amours en 2019.


Cet attachant long métrage dont on perçoit la discrète nature autobiographique dévoile une touchante chronique des amours compliqués d'aujourd'hui, à travers les multiples rencontres de Lila tantôt loufoques ou intimes (marabout, application de rencontre, couple échangiste), pour tenter de se libérer définitivement de l'emprise cérébrale et amoureuse de son amant méphitique. Un délicieux parcours initiatique gourmand et curieux nourrit en permanence par des dialogues savoureux d'une rare justesse et de punchlines modernes d'une drôlerie enthousiasmante, au milieu d'une représentation dynamique de l'amitié collective, seuls mais ensemble... La caméra complice toujours bienveillante, irriguée par une belle énergie vivifiante à la sensibilité à fleur de maux, à fleur de pores, sublime la narration des tourments entre le déni, la colère, le chagrin et l'influence des désirs. Une tragicomédie sentimentale libertaire sans tabous, portée par l'irradiante Hafsia Herzi, émouvante, intense et rayonnante comme jamais, et bien accompagnée par une véritable troupe d'épatants acteurs (Djanis Bouzyani, Jérémie Laheurte, Anthony Bajon notamment) à la fraîcheur désarmante, dont chaque rôle est finement écrit et incarné à l'écran.


Laissez-vous donc submerger par les émotions en salles, pour honorer comme il se doit la naissance d'une surprenante réalisatrice, avec ce premier coup d'essai particulièrement prometteur. Cette œuvre magnifique mérite un succès d'amour... Sincère. Lumineux. Tendre. Salvateur. Un coup de cœur remède qui réchauffe les âmes meurtries par les jeux de l'amour et du bazar...

seb2046
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le 7 juin 2019

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