LA VILLA (14,8) (Robert Guédiguian, FRA, 2017, 107min) :


Cette délicate chronique chorale aux résonances sociales et politiques narre le destin de 2 frères et une sœur, réunis dans la villa familiale au chevet du patriarche très alité pour convenir d'un éventuel héritage et d'une possible mise en vente de la demeure. Pour son vingtième film en 37 ans d'œuvres cinématographiques, le réalisateur engagé Robert Guédiguian opère un retour aux sources, pour nous offrir un savoureux huis clos à ciel ouvert, au milieu des calanques paradisiaques de Marseille, sorte d'amphithéâtre où la tragédie du monde vient s'inviter. Le bruit des vagues heurtant les rochers s'invitent pour inaugurer dans le noir le long métrage qui s'illumine en nous faisant découvrir une terrasse vue sur la mer, où un vieillard au soleil regarde l'horizon comme en harmonie avec la nature, tout en constatant que sa vie s'est déjà bien consumée. Malgré les conséquences certaines sous-jacentes dans le "tant pis" lâché d'une voix résignée, le vieil homme profite d'un dernier plaisir en allumant une cigarette qui va le clouer définitivement dans un état végétatif. Le ton est donné d'emblée, il sera mélancolique et ensoleillé. Ce long métrage s'appréhende comme un regard désabusé dans le rétroviseur sur les illusions perdues de la vie et comme le parcours du cinéaste lui-même sur les valeurs "le cœur à gauche" qu'ils véhiculent à travers toute sa filmographie. Le cinéaste organise ces retrouvailles avec précisions, en quelques plans il décrit plusieurs générations et les retrouvailles d'une fratrie séparée où chacun à tenter de son côté de panser des blessures enfouies et de faire comme il peut avec ces contradictions. Peu à peu l'élégante mise en scène lumineuse, dévoile par un brillant récit d'introspections, les doutes, les secrets dissimulés, les douleurs cachées et les trahisons qui s'immiscent insidieusement dans le tamis de la vie quotidienne. Le réalisateur, alors que la France a décidé il y a quelques mois d'être "En Marche", regarde en arrière la perte des valeurs fraternelles, de fraternité et de transmissions à l'autre, englouties par la valeur marchande toujours en hausse apportant son lot de conséquences tragiques pour le monde ouvrier de cette calanque de Méjean (symbole de l'état d'un monde qui disparaît). Comme un phare de ces idéaux le restaurant "Le Mange-tout" "où l'on mange bien à petits prix" tenu avec fierté par le frère aîné, est le symbole de cette lutte, où au train vont les choses, seul l'amour peut redonner un second souffle à des battements que l'on pensait à jamais ensevelis par l'usure du temps. Robert Guédiguian évite l'aspect moralisateur par une narration nostalgique confrontée avec pertinence à la nouvelle génération et convoque avec acuité son propre passé d'une jeunesse plus insouciante (comme lors de l'émouvant extrait de son film Ki lo sa ?, sorti en 1985) d'homme militant et ouvert sur les tragédies contemporaines (réfugiés clandestins). Quand une autre fratrie (2 frères, une sœur) vient s'échouer sur les rochers surveillés par l'armée (reflet d'un pays sous la menace), Amand, Joseph et Angèle se réunissent dans un même écho de solidarité par rapport à ces migrants d'infortune et s'unissent pour ouvrir la porte de leur générosité commune, comme pour mieux souligner le lien invisible qui les unit malgré les rancœurs du passé. Un conte parfois utopiste à la naïveté revendiqué transcendé par la délicieuse troupe d'acteurs fidèles au réalisateur (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet) et la nouvelle génération avec l'épatante Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin et Yann Trégouët, tous au diapason du chef d'orchestre qui donne si bien le "la", à cette superbe partition tchekhovienne. Venez-vous immerger dans ce petit théâtre des rêves d'hier, où les sanglots sous le viaduc de l'existence, viennent se refléter dans la mer d'un avenir possible, où l'espoir n'a pas encore passé l'arme à gauche au cœur de La Villa. Solidaire. Lyrique. Sincère. Touchant.

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le 30 nov. 2017

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