Au fil des saisons, les rendez vous amoureux du romancier Philip Roth sont saisis avec intensité par la caméra d’Arnaud Desplechin qui scrute les désirs intimes et les troubles intérieurs de l’auteur.


Deux après le polar glacial Roubaix, une lumière, inspiré d’un fait divers survenu en 2002, Arnaud Desplechin revient avec un film intimiste et réjouissant. L’adaptation du roman Deception de Philip Roth est un projet de longue date qui a fini par voir le jour au beau milieu du confinement grâce à l’aide de sa coscénariste Julie Peyr.


Animé par l’envie de dresser un portrait de femme, Desplechin écrit pour Léa Seydoux le rôle de cette amante anglaise éprise d’un romancier américain. Dès la séquence d’ouverture, c’est d’ailleurs elle qui nous invite à l’écouter se présenter face caméra depuis sa loge, plongée dans l’obscurité, au théâtre des Bouffes du Nord. Seules les lumières de son miroir nous laissent entrevoir un sourire sur son visage qui succombe au rire lorsqu’elle décrit son amant.


Un monologue théâtral en guise de mise en abyme qui n’est pas s’en rappeler le spectacle ombragé des marionnettes d’Un conte de noël. Desplechin emprunte les caractéristiques visuelles du spectacle vivant pour capter notre attention et nous plonger dans son histoire.


Celle de Philip, un auteur séducteur, campé par le formidable Bruno Podalydès, se définissant lui-même comme un audiophile auprès de ses maîtresses. Son bureau prend l’allure d’un cabinet de psychanalyste dans lequel on fait tour à tour l’amour et la conversation. Philip couche sur papier chacune de ses confidences qui nourrissent son œuvre. Transformer la parole en action devient une évidence, la fiction s’imposant à la vie.


Car ce sont bien les femmes de son cœur qui dictent le récit et lui qui les écoute, fasciné. Elles partent à la conquête d’elles même en se confiant et Philip trouve sa place dans l’écriture. Structuré en douze chapitres, le film adopte une narration linéaire suivant le cours des saisons et brasse une multitude de thèmes : la souffrance de la maladie, l’ennui provoqué par le devoir conjugal, la fuite de la banalité quotidienne par la voie de l’adultère.


Mais le film ne se contente pas de faire l’éloge du libertinage, il émet quelques soupçons. L’épouse de l’écrivain blessée, magnifique retour d’Anouk Grinberg, prend à son tour la parole et pousse Philip dans ses retranchements. Cette remise en cause se poursuit lors d’une séquence de procès imaginaire où l’auteur est interrogé sur les relations qu’il entretient avec ses conquêtes. Une scène audacieuse pour camper Meetoo# avant l’heure.

Une ombre se dessine sur le portrait de Philip en proie avec ses obsessions funèbres. Son amante anglaise se livre aussi au sujet de ses douleurs personnelles. Sa peur de la maternité laissera couler une larme sur sa joue.


Un instant intime d’une rare puissance émotionnelle filmé en plan rapproché. Cette sensibilité qui habite les personnages parcourt le film d’un bout à l’autre et le gros plan se montre tout aussi élégant lorsqu’il filme l’étreinte.


Dans ce film choral, Arnaud Desplechin rend un bel hommage à Philip Roth, décédé en 2018, mais convoque aussi d’autres influences, on pense à Ingmar Bergman et ses couples inoubliables. Tromperie est un film tendre et poignant.

ThomasDeq_
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le 18 févr. 2022

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Thomas Dequidt

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