- L' Apostasie du spectateur et son remède argentique -

Ici et là, au gré du vent, George Miller sème ce qui lui reste de magie afin de rappeler aux "peaux neuves" que la salle reste l'unique sanctuaire du Septième Art. Parce qu'au fond si le Cinéma est une religion, il y a depuis quelques temps une absence de foi. L'Amour du médium décroît, c'est une évidence. Non pas parce qu'il manque de créatifs mais parce qu'on ne lui accorde plus le droit de se renouveler, de puiser une nouvelle fois dans la fontaine de Jouvence comme l'avait fait Le Nouvel Hollywood. Les raisons sont à l'évidence même d'ordre économique mais pas seulement... Il y a une forme de spiritualité ou d'union artistique et humaine qui ne fusionne plus. L'image ne séduit plus les foules et les histoires itou. Le Cinéma n'est donc pas que perception. Il est aussi un système qui se voit courir à sa perte si on ne l'arrose pas de temps à autre d'une dose de jeunesse, de passion et de cœur comme une plante grasse dans une serre. Les valeurs se perdent au même titre que les vertus alors pourquoi pas les croyances dans L'art le plus populaire du monde ?
Dans cette (triste) mesure, il faudrait un film pour incarner l'ensemble de ces ondes négatives. Une oeuvre représentative du climat délétère qui agite notre sphère occidentale culturelle mais aussi sociale, ethnique, religieuse, amoureuse...(?) Suivons alors une tranche de vie de Alithea, londonienne érudit sur les terres d'Istanbul où elle donne une conférence sur la prise de pouvoir des sciences sur les mythes passés. Alithea, prénom grec à la consonance des Dieux de L'Odyssée est un peu à la manière du Peter Pan de Spielberg, celle qui a oublié de rêver, perdue au coeur de son rationalisme aigüe et du sens philosophique donné à sa vie. Un personnage incarné par l'androgyne et donc très contemporaine Tilda Swinton. Divorcée, esseulée et dictée par son propre matérialisme (sa brosse à dent électrique), la connexion avec toute forme de plaisir n'existe plus. Il ne reste que l'hémisphère intellectuel de son cerveau pour éprouver un semblant de contact avec l'extérieur. Son ex-mari lui a même fait remarquer son incapacité à décrypter le sentiment amoureux. L'Amour, ce sentiment un peu magique qui doit être entretenu pour garder la flamme.


Puis vint l'improbable rencontre. Celle d'une pragmatique et d'un faiseur de rêves dans un hôtel luxueux. Un Djinn et sa Maîtresse. Un spectateur à la rencontre de son réalisateur. Car George Miller est bien présent derrière le masque du génie en bouteille. Un artiste mélancolique capable d'exaucer les voeux secrets de son public. Et quoi de plus attractif que de conter de grands récits mythologiques pour à nouveau donner envie de rêver. Le grand cinématographe se remet en marche au milieu de couleurs chatoyantes et de références au praxinoscope et d'autres jouets optiques. Alternance du macro et du micro et multiplication des décors dans une frise chronologique à travers les âges, Trois mille ans à t'attendre frustre autant qu'il impressionne. Miller s'impose un périmètre sans jamais vouloir en sortir comme un peintre avec les bords de sa toile d'où cette impression d'une pièce trop exiguë pour contenir la carcasse d'Idris Elba. Puis les formes rétrécissent passant d'un palais fastueux à un appartement en plein centre de Londres où L'Amour ne se prend pas. Une réduction des espaces pour un enjeu encore plus puissant.


En un geste d'artiste, le réalisateur de Mad Max contient son public lui rappelant à chaque intertitre que nous ne sommes ni dans l'opulence d'un Fury road ni dans la survie de l'espèce de Happy Feet mais dans une lettre d'Amour débordant d'onirisme. Un message tout de péplum vêtu prêt à reconnecter une toute nouvelle génération avec le pouvoir des images afin d'y croire encore pour le siècle à venir.

Star-Lord09
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le 24 août 2022

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