Ce qu'il y a d'incommodant avec les comédies musicales, c'est qu'il faut en accepter les codes sous-jacents et constitutifs de leur principe sous peine de grotesque et de rejet : acceptation du manque de crédibilité, relative niaiserie opératique, incongruité des situations mises en chansons, effacement de l'histoire face à la prégnance musicale, mélange du music-hall et de la vraie vie. Ces éléments convenus, l'objet peut être regardable, et même devenir délicieux dans son déroulé si tant est que la musique devient le point central sur lequel s'articule l'histoire, que la dramaturgie s'efface devant la magie de la chorégraphie, que les chansons deviennent l'événement fondateur de l'esthétique et la causalité même du propos. Or, dans Tralala, rien de tout cela. Son propos se situe ailleurs, dans une sorte de no man's land voulu semi-céleste, où des acteurs égarés (Amalric l'est au sens propre) déroulent leur partition à la fois scénique et musicale sur un mode hasardeux et sans trop y croire, où l'ensemble ressort plus d'une compilation de la nouvelle chanson française (Cherhal, Katherine, Daho, etc) que de l'adéquation des chansons à leur propos. Que dire donc des grimaces clownesques d'un Denis Lavant qui rejoue sa folie erratique des Amants du Pont Neuf ou de Holly motors, de Belin qui s'ingénie à mimer Bashung dans une rock-attitude désinvolte et agaçante , de Balasko mal à l'aise dans ses play-backs, d'un Amalric hébété à suivre son ange de la Visitation ? Seule Mélanie Thierry tire son épingle du jeu du haut de son énergie vitale et de son désir désintéressé.
Quant à la soi-disante chorégraphie qui fait se pâmer la critique de la pensée unique, elle se résume à des contorsions de figurants dans une boîte de nuit sur une musique disco plus dissonante que dansante, à quelques pas de danse esquissés par d'improbables danseuses en cornette ou en tenue de serveuse (Fred et Ginger, revenez-nous!), aux jeux de mains des 2 fils de Belin qui semblent directement importés des animations musicales du Club Med, et même la danse de Mélanie Thierry a des airs aussi kitsch que les statuettes du magasin dans lequel elle évolue. Car il s'agit bien ici de kitsch et de toc, quand tout le film ressemble à cette boule de verre remplie de neige qui trône sur les étals de Lourdes.
Plusieurs problématiques sont abordées, mais jamais abouties ni traitées en subtilité. Ainsi celle du faux( fausse identité, fausse vérité), du masque (qu'il soit celui emprunté par les personnages dans les rôles où ils s'assignent ou sont assignés ou bien celui surdéterminé du masque sanitaire), de la psychologie du manque et de l'identité. Mais si le film les convoque à la façon d'un inventaire, il les abandonne très vite au fil d'un empilage de chansons dont la pertinence reste souvent douteuse. Au final, l'histoire se dissout dans l' insignifiance et le désordre d'un bric à brac hétéroclite. Ça commence comme du Bukowski misérabiliste et ça se termine comme une bande dessinée ("I am a poor lonesome cowboy" pourrait chanter Amalric quand il s'éloigne dans sa barque) et entre les deux, ça s'agite comme la poussière dans un rayon de lumière pour retomber comme la neige dans la boule de cristal.

Cinefils
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le 19 oct. 2021

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