Dos au mur. Que faire lorsque nous sommes livrés à nous-même face à l’adversité et à la rudesse d’un monde souvent impitoyable ? Les uns veulent œuvrer pour la justice, d’autres la contournent, mais tous se battent finalement dans leur propre intérêt. A l’instar de Sur le chemin de la rédemption l’an passé, Dragged Across Concrete, (traduit par Traîné sur le bitume), l'un des meilleurs films de l'année, n'aura pas connu de sortie en salles chez nous.


Street Corner Felines. Au rythme de la soul des O’Jays, tout démarre sur les bases d’un polar des plus classiques. La rencontre avec une famille défavorisée, puis avec deux flics expérimentés qui tentent de mettre la main sur un criminel. Le jeune homme à peine sorti de prison, qui apprend que sa mère a recours à la prostitution pour tenter de gagner de l’argent, est déjà sur un coup. Les deux policiers, eux, sont pris sur le fait en pleine intervention musclée, et sont suspendus. Les pièces du puzzle se répartissent sur la table, dans l’attente d’être jointes. Et tout ne se déroulera pas comme on aurait pu le prévoir.


La première chose que l’on remarque, dans Traîné sur le bitume, c’est l’étirement des scènes. Dans cette ambiance nocturne, poussiéreuse, le temps passe, lentement. Mais cette lenteur n’a rien de rédhibitoire, au contraire, et parler de lenteur est même inapproprié. Car c’est cet étirement qui permet de créer un climat, une atmosphère, d’écrire des personnages, et de cultiver une tension latente qui affecte le spectateur tout au long du film. La gestion du rythme dans Traîné sur le bitume est d’une efficacité implacable, traduisant toute la rugosité du monde ici décrit, où tout n’est que lassitude et désespoir, mais où tout peut aussi exploser sans coup férir.


Là où beaucoup de films modernes misent sur la vitesse pour maintenir l’attention du spectateur, au risque de laisser des failles dans l’intrigue, Traîné sur le bitume renoue avec les polars « à l’ancienne », dans un style rappelant les films policiers des années 70. C’est un monde dépourvu de fantasmes, où la mort peut surgir à n’importe quel coin de rue. Ici, la justice est une chose toute relative, tout le monde a ses torts et ses raisons, chacun agissant avant tout dans ses propres intérêts, remettant sans cesse en question les a priori du spectateur. Pour mieux mettre en perspective le monde qu’il décrit, S. Craig Zahler pioche également dans les canons du film noir et du western, pour donner lieu à ce mélange aussi éreintant que détonant. Derrière toute cette violence et cette souffrance se cache un maître absolu : l’argent. Nécessaire à la survie dans notre société, il pousse les individus à se battre pour lui, quitte à se trahir et à mettre leur vie en danger, justifiant les actes les plus abominables, rendant plus vrai que jamais le vieil adage "le malheur des uns fait le bonheur des autres".


Traîné sur le bitume ne laisse aucune place au hasard, parvenant à n’omettre aucun détail sans jamais tomber dans la redondance et la longueur, étant toujours d’une précision et d’une efficacité redoutables. Vince Vaughn et Mel Gibson, peu en vue depuis un certain temps, trouvent ici tous les deux un rôle tout à fait valorisant, qu’ils tiennent chacun avec une grande justesse. Si le film de S. Craig Zahler dure plus de deux heures et demie, il parvient à tenir le spectateur en haleine de bout en bout, ne laissant jamais cette sorte de langueur ambiante se transformer en ennui, et parvenant, au contraire, à toujours nous captiver davantage. Un film dont je n’ai pas perdu une seule miette, figurant parmi les excellentes surprises de cette année, qui n’a peut-être pas trouvé le chemin de nos salles, mais que je vous conseille vivement de découvrir.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 10 déc. 2019

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