Lorsque l'on évoque le mélodrame au cinéma, il y a quasi obligation de passer par la case Douglas Sirk. Tellement le genre, si l'on peut le considérer comme tel, est jalonné des influences de ce que cet immense cinéaste lui a donné.


Au contraire des grands auteurs littéraires classique, avec Sirk, la tragédie Shakespearienne s'invite chez monsieur tout le monde, ou pour paraphraser l'historien Jean Douchet : "Les mélodrames de Douglas Sirk sont la tragédie pour ceux qui ont le loyer à payer". Une pensée qui reflète parfaitement la substance qui fait l’œuvre de ce cinéaste aujourd'hui cité, avec d'autres grands cinéastes américains comme Frank Capra ou Preston Sturges, en exemple quand il s'agit d'aborder le mélo.


Tout ce que le ciel permet est probablement la quintessence du cinéma de Sirk, dans le sens où il parvient en une petite heure trente à proposer tout ce que ce genre contient de substance. Ce qui pour d'autres demanderait trois heures de développement et d'exposition, Sirk parvient à l'imposer en un temps très court. Ce qui n'est pas une gageure aisée il faut l'avouer.


Il réussit par une construction méthodique, faite de plans à l'image somptueuse, concoctés avec minutie, à faire dérouler son cinéma avec une élégance digne des plus grands peintres. Tellement empreint d'émotions brutes, même s'il utilise certains artifices qui chez d'autres pourraient paraître redondants, la musique notamment.


Avec ce film il parle de la naissance d'une relation peu courante dans l'Amérique des années 50, entre une veuve fortunée et son jardinier. D'emblée la hiérarchie des classes est mise en évidence, le pépiniériste interprété par un Rock Hudson tout en élégance brute avec son cou épais et sa chemise de bucheron, peine à se faire accepter par le milieu bourgeois dans lequel évolue la veuve à qui une Jane Wyman tout en sensibilité et en élégance prête ses traits. D'autant plus qu'elle est d'une bonne dizaine d'année son aînée. Différence de classe et d'âge viendront enfreindre leur passion naissante.
Ron le jardinier vit en osmose avec la nature et c'est avec émerveillement que Carey découvrira son domicile, un vieux moulin dans la forêt. Elle en sera bouleversée et ainsi naîtra leur relation interdite. C'est habilement que Sirk crée l'intrusion de la bourgeoise dans le milieu modeste, dénué de tout superflu artificiel. Ici pas de trace de téléviseur ou de cuisine super équipée. Juste une grande cheminée et une grande baie vitrée avec une vue splendide qui donne sur la montagne. Une vielle théière ébréchée, objet typique d'une certaine réussite sociale, sera le liant qui fera se rejoindre les deux mondes.


Au-delà de toutes les thématiques abordées, l'emprise du temps, l'acceptation de l'autre, les différences, Tout Ce Que Le Ciel Permet est avant tout un immense film esthétique. L'utilisation des couleurs est bluffante de pureté naturelle et d'une beauté saisissante. Rarement on aura atteint une telle perfection dans le rendu du cinémascope. C'est tout simplement exceptionnel.


Quand un film rassemble tant d'éléments typiquement cinématographiques, l'esthétisme, l'émotion naturelle ne tombant jamais dans le pathos de base, le happy ending n'est jamais un aboutissement chez Sirk, que la magie naît d'une imagerie à la peinture élégante qui vous prend par les sentiments, le cinéma peut naître naturellement. On appelle ça un chef d’œuvre.

philippequevillart
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le 26 déc. 2017

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