A la suite d'un traumatisme vécu durant son enfance,Tommy est devenu sourd,muet et aveugle,ce qui ne l'empêche pas de devenir champion de flipper.Puis il retrouve brusquement ses facultés et se transforme en Messie adulé des foules.A la lecture de ce résumé,on s'attend à un film bien barré et on ne va pas être déçus.Il s'agit de l'adaptation d'un opéra-rock du mythique groupe de rock musclé "The Who",écrit en 69 par le guitariste Pete Townshend.C'est réalisé par le très baroque Ken Russell,qui signe également le scénario et a fait de l'oeuvre le manifeste ultime du psychédélisme seventies.Visuellement,c'est une tuerie.Chaque plan est une oeuvre d'art regorgeant de décors surréalistes,d'objets insolites,de personnages bizarroïdes,de détails incongrus et de couleurs flashy,le tout baignant dans une ambiance étrange où l'humour noir confine au malaise.Russell donne de l'ampleur à ce concentré de pop culture en maniant en virtuose une caméra qui vole,zoome,décadre,bouscule les perspectives,et en utilisant aussi bien la profondeur de champ que la largeur de l'écran,tout en travaillant habilement les lumières.Les scènes déjantées se succèdent et les idées dingues jaillissent de tous côtés,de la mère du héros se roulant dans les haricots sauce tomate aux disciples de Tommy jouant au flipper les yeux bandés et les oreilles bouchées.L'imagination est sans limite et les décors incroyables,qui changent à chaque scène,impriment profondément la rétine,tandis que la musique puissante et les formidables chansons des Who infusent dans l'esprit du spectateur,à l'exemple du lancinant "See me feel me" qui revient régulièrement dans le film.D'ailleurs,il n'y a aucun dialogue et seules les paroles des chansons permettent de suivre l'histoire.Mais "Tommy" va au-delà du trip formel et ne manque pas de sens.En ce milieu des années 70,le mouvement hippie a du plomb dans l'aile,faisant déjà place au désenchantement.Sur le fond,le scénario,amer et désespéré,parle de la cruauté du monde,de la violence des hommes,de l'injustice,de la naïveté et de la versatilité des foules,de la maltraitance,du sort réservé aux plus faibles,de la bêtise humaine en général.Il parle aussi des faux remèdes pour y survivre,de l'alcool,du sexe,de la drogue,du mercantilisme,du consumérisme,de la religion et de l'idolâtrie.Certes,il faut entrer dans le délire car tout ça peut paraître kitsch,excessif et naïf.Mais c'est un peu le propre du dispositif de la comédie musicale.Les Who feront en 73 un autre opéra-rock,intitulé "Quadrophenia",qui donnera lui aussi,en 79,une formidable adaptation ciné.On peut penser que "The wall",l'album concept des Pink Floyd,et le film d'Alan Parker qui en a été tiré,ont été grandement inspirés par "Tommy",car les points communs abondent entre les deux oeuvres.Les numéros musicaux sont interprétés par des stars du pop-rock.Les Who bien sûr,Townshend apparaissant aux côtés de ses potes Keith Moon,le batteur,et John Entwistle,le bassiste.Et naturellement le chanteur Roger Daltrey,au regard halluciné et aux cheveux bouclés, qui interprète le rôle-titre en livrant une ahurissante performance physique.Eric Clapton,Tina Turner et Elton John,rien que ça,sont également de la partie.Quant aux acteurs professionnels,ça tape aussi dans le haut de gamme.La belle suédoise Ann-Margret est bluffante dans le rôle de la mère de Tommy.Oliver Reed,à la fois inquiétant,pathétique et répugnant,crève l'écran comme d'habitude.Il était un des comédiens fétiches de Russell,qui lui confia des rôles magnifiques,notamment dans "Love" et "Les diables".L'intense Robert Powell parvient à être marquant malgré une courte participation.Il incarnera à nouveau un aviateur dans "Le survivant d'un monde parallèle",mais en vedette cette fois,et il fut Jésus au cinéma.Jack Nicholson apparait brièvement mais suffisamment longtemps pour faire forte impression.Il était déjà le partenaire d'Ann-Margret quatre ans plus tôt dans "Ce désir qu'on dit charnel" de Mike Nichols.