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Un écran noir en guise d’accueil et un bruit d’onde pour seule vision. Surgissent alors des images d’un narval sur un écran de télévision, animal sous-marin aux prises avec les glaces. En contraste à cette recherche d’orientation du cétacé qui émet des sons pour se situer dans son milieu aquatique, la désorientation d’une femme, au premier plan, réveillée en sueur par un probable cauchemar.


Cette femme, c’est Marina (jouée par Joana de Verona) et pour cause d’un terrible accident dû à des acouphènes lors d’une compétition, elle a quitté les hauteurs du plongeoir pour la profondeur d’un aquarium, délestant le maillot de bain sportif pour la tenue de sirène. Dorénavant seule et enfermée comme n’importe quel animal en captivité voué à faire de ses mouvements de vie un spectacle lucratif, Marina tourne en rond dans un bocal manquant d’oxygène. Elle retrouve la surface lorsque l’athlète qui la remplace lui demande de l’entraîner. 


Grâce aux couleurs, aux sons et aux techniques permises par le cinéma, Gregorio Graziosi élabore une expérience sensorielle : donner à voir et à entendre l’invisible. De la même manière que les plus grands films sur le sport, Tinnitus (dont la traduction est acouphène) est un film marqué par la mystique du sort contraire qui s’acharne sur ceux qui semblent se battre contre un destin qui finit par les écraser. D'abord, en plongeon synchronisé, il est question de chuter, encore et encore, en convoquant les règles d'un art. Ensuite, il n’est pas question de face-à-face avec un adversaire comme à la boxe, ici, on saute par deux, l’une à côté de l’autre, cherchant la synchronisation d’une même danse volante. L’adversaire, plus que jamais, est à l’intérieur. Si un suivi médicamenteux, représenté par un conjoint médecin, peut entraver l'acouphène, Marina entend être une femme à part entière, libre, désireuse de repousser la maternité, pratiquer une discipline qui lui permettrait de nouveau de nager dans le bonheur. En suivant la voie de la compétition, Marina suit le parcours que connaissent trop de sportifs de haut niveau, à savoir une négation de leur propre corps et les dommages collatéraux qui l'accompagnent. Un corps sourd à ses propres besoins, devenu objet pour des ambitions.  


Si quelques scènes offrent des temps de silence, quasi-méditatifs, Tinnitus est un concentré de luttes, internes comme externes, visuelles autant que sonores. Répétant une gamme, comme un saut d'entraînement en variant les figures, Gregorio Graziosi emploie une formule des contrastes. Bouquet de genres : film de sport, thriller psychologique, portrait de femmes, chroniques de liaisons passagères, récit social voire géographique sur São Paulo. Et panaché d’explorations contrastées, ombres et lumières : le phénomène intérieur des acouphènes en écho à son caractère invisible et inentendable pour l’extérieur, l’exploration d’un quartier japonais dans les travées brésiliennes, le bruit sourd d'une maladie dans un São Paulo cacophonique, une architecture symétrique embrassant la rectitude des bassins extérieurs qui heurte la forme aqueuse, les courbes des corps face à la droiture de la discipline, les orientations sexuelles antagonistes mais pas incompatibles. En filigrane, le réalisateur nous met la puce à l’oreille : cette maladie pourrait être la conséquence d’une société bruyante où la musique jouée par les partis d’extrême droite attaquerait les corps dans leur chair jusqu’à leur âme. 


Tinnitus est un film où tout se meut, dans une danse reprenant les pas de la forme de l’eau, à la fois insaisissable et impactant. 

Pout
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le 24 mars 2023

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