Documentaire minuté et minutieux

Bianca Stigter signe un documentaire percutant et très émouvant, dont la démarche à la fois obstinée et rigoureuse est à saluer. ‘Three minutes’ est un documentaire monté à partir d’un film amateur de 3 minutes de David Klutz montrant une ville juive de Pologne en 1938 avant la tragédie de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Ces précieuses minutes sont examinées moment par moment pour dévoiler les histoires cachées des habitants. Différentes voix viennent enrichir les images : Glenn Klutz, petit-fils de David Klutz, et Maurice Chandler, qui apparaît dans les images comme un jeune garçon.

Ce documentaire se base donc sur le témoignage d’un américain Glenn Klutz qui a retrouvé le film amateur tourné par son grand-père américain dans le village polonais de Nasielsk, venu faire un tour d’Europe en 1938. devant ce film (par ailleurs, magnifiquement restauré) et bref témoignage d’époque : la question que la documentariste et le spectateur se posent est : qui sont ces gens ? Le documentaire va tenter d’y répondre, en s’attachant à chaque détail, chaque visage.

L’approche de l’enquête est exemplaire de rigueur, de précision. La réalisatrice fait la part entre ce qui relève de l’hypothèse, de la supposition et ce qui relève des faits. Elle fait le choix de monter son documentaire comme une sorte d’enquête journalistique, en se basant sur des témoins, des archives et en se basant sur un raisonnement basé à la fois sur l’élargissement peu à peu de ses axes de recherches mais aussi sur une vraie éthique journalistique. Ainsi, des informations sur les milieux sociaux des enfants sont déduites grâce aux casquettes qu’ils portent, une épicière est identifiée à partir d’une analyse des lettres de la pancarte floue de son commerce, l’ombre et la météo permettent d’horodater la scène. Enfin, les ornements sur la porte de la synagogue permettent de localiser la bourgade.

On oublierait presque que l’on est dans un documentaire, tant un certain suspens nous prend. Que va-t-on découvrir ? Qui sont ces gens ? Quelle est leur histoire ? Que s’est-il passé dans ce village ? La révélation de ce qui s’est passé nous émeut. Village majoritairement juif, la plupart des 3000 juifs furent déportés et assassinés. Seuls 100 d’entre eux survivront. Ajoutons qu’une sorte de romanesque se développe autour des anecdotes. Par exemple, ces villageois qui sortent de la synagogue dont on découvre qu’ils ont assistés au récital d’un grand ténor polonais. Bianca Stigter réussit en quelque sorte a nous faire sentir la vie du village, aussi surement que Claude Chabrol l’avait fait avec ‘Le beau Serge’.

Ce film montre vraiment bien le pouvoir des images, ce qu’elles peuvent nous dire autant sur ce qui est filmé que sur celui qui les filme. Chaque image a été analysée, zoomée, interprétée. Ainsi, grâce à ces images, on peut déceler une inquiétude des habitant face à la situation. On peut remarquer les différences de classes sociales. Enfin, cette vidéo nous en dit long sur le filmeur. On sait qu’il est américain et qu’il filme un village d’Europe. On devine ainsi qu’il s’agit d’un américain aisé, qui fait un long tour d’Europe comme cela se faisait aux USA quand on avait un peu d’argent.

Produit par le réalisateur britannique Steve McQueen (ce qui est en soit un gage de qualité), ce documentaire d’un peu plus d’une heure est passionnant sur le fond, et tout aussi intéressant sur la forme, c’est-à-dire dans sa démarche d’enquête. A ne pas louper !