Les Agojié formaient un ancien régiment militaire entièrement féminin chargé de protéger la république du Dahomey ( l'actuel Bénin ) et ayant existé jusqu'à la fin du XIXe siècle. Ces guerrières étaient d'ailleurs surnommées les "Amazones du Dahomey" en raison de leur similitudes avec les mythiques Amazones. En 2015 lors d’un voyage au Bénin, l'actrice Maria Bello découvre l’histoire des Agojié et se métamorphose en productrice afin de porter un projet d'adaptation qui aboutira quelques temps plus tard et dans lequel elle sera rejointe par Viola Davis en qui l'idée résonne.

The Woman King évoque un moment crucial pour le Dahomey qui fait face à la menace du royaume d'Oyo, son puissant voisin soutenu par les nations coloniales et esclavagistes, ici principalement le Portugal. Une nouvelle génération de guerrières se forme qui verra les destins de plusieurs femmes se croiser, Nawi ( la prometteuse Thuso Mbedu ) la jeune recrue offerte au roi Ghezo, la commandante Izogie ( Lashana Lynch dans un rôle à sa mesure après son personnage anecdotique dans le dernier 007 ) et la générale Nanisca ( Viola Davis incroyable, monstrueuse de puissance et de charisme ). Un beau trio qui est le gros point fort du métrage et qui atteste de ses intentions, composer une ode à la femme et sa force, à l'Afrique et sa beauté.

En choisissant de glorifier cette république et de l'ériger en modèle abolitionniste, ce qu'elle était loin d'être en réalité, la réalisatrice Gina Prince-Bythewood s'éloigne volontairement de la véracité des faits historiques et s'empare de cette figure d'Amazones pour réaliser une épopée féministe engagée dans la mouvance d'une nouvelle étape de l'histoire du cinéma noir-américain, initiée notamment par Black Panther. Le film apporte en prime une visibilité bienvenue à un pan de l'histoire africaine trop méconnu même si le traitement se base fort logiquement sur des mécaniques purement hollywoodiennes étant donné que c'est une production émanant de cette industrie. On est alors clairement dans ce que certains dont je ne fais pas partie méprisent et dénoncent comme étant de l'appropriation culturelle. Il s'inscrit pour moi dans une longue tradition hollywoodienne du film historique.

On est donc face à une fable guerrière qui privilégie l'efficacité en employant des archétypes convenus. Bien tendue elle accomplit d'une façon satisfaisante son rôle de divertissement. Comme souvent à Hollywood la reconstitution historique que l'on devine saupoudrée de fantaisie est tangible. Les costumes de Gersha Phillips sont très réussis et témoignent comme les accessoires et armes d'un souci du détail et d'une vraie recherche de cohérence entre les différents groupes. Il y a également un vrai travail sur le corps des guerrières. On ressent la crasse, la sueur et la violence sur leurs corps marqués et usés par les différents combats et entrainements. De nombreux cris de guerre et chansons en fon parsèment le film tourné vous l'aurez deviné en anglais, pour autant on ressent l'importance du culte vaudou dans cette société et son développement spirituel.

Techniquement le film est soigné et la photographie lumineuse retranscrit une Afrique dépaysante bien que largement fantasmée. Les séquences d’action ne renouvellent pas le genre mais restent convenablement chorégraphiées et montées, relativement brutales et sanglantes pour un film de cet acabit. Elles mixent combat à l'arme blanche, à la machette inspiration wu xia pian pour le côté technique, virevoltant et parfois aérien avec du combat au corps-à-corps qui fait la part belle aux projections issues du ju-jitsu. Évidemment c'est totalement anachronique mais c'est assumé et ça rend plutôt pas mal. On ressent pleinement la force de ces Agojié et leur invincibilité presque mythique.

Il faut aussi saluer la B.O de Terence Blanchard qui emploie des musiques ethniques et orchestrales pour renforcer l'authenticité du projet et accentuer la dimension émotionnelle.

Alors le tout ne forme rien de bien révolutionnaire certes car on ressent globalement un certain conformisme narratif propagé par l'utilisation de poncifs et d'une gestion du rythme spécifique. Le film n'oublie pas non plus la sous-intrigue mélodramatique un peu neuneu et l'impression d'assister à un grand-spectacle hollywoodien connu et balisé est présente. Malgré cela le récit a le mérite d'ouvrir des horizons et d'aborder la question du féminisme et de l'émancipation féminine avec des représentations et des positionnements assez inédits, notamment sous l'angle du traumatisme.

Vivement critiqué pour son contexte historique qu'il revisite, pas plus en réalité qu'une bonne partie des œuvres à toile de fond historique, tout du moins hollywoodiennes, The Woman King ne se moque jamais de son sujet et constitue malgré un développement scénaristique assez classique et une enveloppe fonctionnelle un divertissement afro-féministe et anti-colonial qui vaut le coup d’œil, surtout pour son trio d'actrices.

Zoumion
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Oeuvres filmiques vues en 2023

Créée

le 31 janv. 2024

Modifiée

le 31 janv. 2024

Critique lue 23 fois

1 j'aime

3 commentaires

Zoumion

Écrit par

Critique lue 23 fois

1
3

D'autres avis sur The Woman King

The Woman King
JorikVesperhaven
7

Black Girl Power.

Difficile de ne pas apprécier ce film généreux et sa puissance de divertissement. Il est certes loin d’être parfait mais ne comporte pas de défauts majeurs empêchant de pleinement l’apprécier et de...

le 28 sept. 2022

19 j'aime

The Woman King
limma
5

Critique de The Woman King par limma

The Woman King et sa si belle affiche, nous laissait espérer d'un rôle principal pour Viola Davis, la générale et peu commode Nanisca, cheffe de guerre et de l'armée du Roi, d'une crédibilité...

le 6 nov. 2022

10 j'aime

5

The Woman King
Aude_L
6

The Wo-mensonge King

The Woman King, c'est l'Histoire de l'Afrique, revue et corrigée par Hollywood, aussi ne pensez pas voir une histoire vraie, on a bien affaire à une intrigue très (très très) romancée. On débute par...

le 22 nov. 2022

6 j'aime

Du même critique

La Soupe aux choux
Zoumion
6

Pépé tu me manques

La soupe aux choux est l'adaptation d'un roman éponyme de René Fallet écrit en 1980. Succès modéré lors de sa sortie au regard des productions qui mettaient habituellement Louis de Funès en scène, il...

le 31 janv. 2024

2 j'aime

2

The Northman
Zoumion
8

Skalmöld

Avec The Northman Robert Eggers continue son travail d'exploration et de réinterprétation de mythes en s'attaquant cette fois-ci au monde nordique et à l'histoire, la culture et les traditions des...

le 31 janv. 2024

2 j'aime

Runaway Train
Zoumion
9

Cannonball

Quelle baffe ! Un des plus grands films d'action sortis dans les années 1980 si ce n'est le plus grand. Runaway Train est une production Cannon, un essai unique et largement le meilleur film...

le 9 sept. 2023

2 j'aime