C'est exactement ce que ça suggère, et strictement rien de plus : préparez-vous à tourner en rond

Pour commencer, évacuons l'évidence : oui, Glenn Close et Jonathan Pryce sont irréprochables dans leurs rôles respectifs – m'enfin, est-il souvent arrivé que ce ne soit pas le cas venant d'eux ? En outre, même si le film est très académique et quelconque sur le plan de la mise en scène, il ne se suit pas sans intérêt du côté de l'écriture. Mais au bout du compte tout cela m'a semblé avoir prodigieusement tourné en rond. Où cela allait-il ? Que cela avait-il à dire sur son sujet ?


Attention : passé ce point, je parlerai du nœud de l'intrigue.
Enfin, je ne pense honnêtement pas révéler grand-chose que vous n'aurez déjà compris, tant le film ne semble pas lui-même faire grand mystère de son secret. Rien que la première scène et le titre, je veux dire : un écrivain reçoit un appel lui annonçant qu'il va recevoir le prix Nobel de littérature, et ça s'intitule The Wife... ça y est, vous avez capté ? Bon, ben oui :


c'est elle qui écrit les bouquins.


Durant le premier acte, les indices pleuvent. Et dès le début du deuxième, au bout de même pas une demi-heure de film, la chose est confirmée – à l'occasion d'un dialogue suffisamment élégant pour la rendre claire sans jamais l'énoncer explicitement, soit dit en passant. Autant dire que le film semble convenir avec son spectateur que le secret est d'emblée tacitement partagé, comme il l'est entre ses protagonistes.


Partant de là, j'étais fort intrigué : si le scénario décidait de découvrir son pot aux roses si tôt, c'est qu'il devait bien avoir autre chose à dire, quelque chose de plus intéressant à raconter, et ça me paraissait bon signe. Un autre secret imbriqué dans le premier secret, peut-être ? Ou bien une ambivalence dans la relation des deux époux, qui donnerait à revoir leur situation d'un nouvel œil ?


Sauf que non. Rien.


Passé ce point, reste donc une heure à voir un vieux con faire son paon en dénigrant le talent de sa femme parce qu'il est trop orgueilleux pour avouer à voix haute que ce talent n'est pas le sien, et une épouse crever de ressentiment à l'égard de son mari parce que le secret reste secret, mais – dans un geste d'abnégation qui confine à l'absurdité – faire tout son possible pour que surtout personne ne l'ébruite.


On a par conséquent deux personnages enfermés chacun dans sa fonction, qui tournent où le scénario les a placés comme des diables en cage. Lui, en qui est pourtant établie une fragilité sous-jacente qui aurait mérité de l'emmener vers un traitement plus ambigu et plus émouvant, restera simplement un vieux charlatan pathétique, sans bouger d'un iota. Elle, en qui a été dessiné un appétit muet mais non moins féroce de reconnaissance, continuera de taire son talent et d'assumer pour on ne sait trop quelle raison sa position de victime de la société masculine, la nuque haute et le regard digne, même quand elle n'a plus aucune raison valable de se maintenir dans cette situation.


Je comprends la dynamique d'enfermement et de mensonge que le film essaie de retranscrire, et je cerne bien ce qu'il y a de pathétique à voir Joe sauter seul sur le lit en répétant qu'il a obtenu le Nobel – comme un triste écho à eux deux qui sautaient ensemble sur le lit dans leur jeunesse en répétant qu'ils avaient obtenu leur première publication. La chose est claire : les années passant, elle a consenti à abattre le travail de plus en plus seule, pendant qu'il arrogeait les lauriers de plus en plus unilatéralement. Et il y a quelque chose de triste, oui, à regarder la discrète déception avec laquelle elle toise la jovialité de son mari, et à voir la déception tourner au dégoût. Mais à nouveau : à part le fossiliser lui dans la position du salaud, la fossiliser elle dans la position de la victime, et laisser passivement le constat se répéter ad nauseam... que fait le film ?


À l'arrivée, peut-être ai-je manqué quelque chose de plus fin dans les intentions. Mais il me reste tout de même l'assez nette impression d'avoir assisté à l'une de ces vaines démonstrations de performance d'acteur (enfin, en la circonstance, de performance d'actrice) calibrée pour aller décrocher quelques statuettes dorées aux cérémonies annuelles, sans vraiment avoir quoi que ce soit de significatif à dire sur son sujet.

trineor
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le 28 janv. 2019

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