Entre une adaptation de sa propre bande dessinée pleine de bonne volonté mais engluée dans des partis-pris formels trop chargés et n'atteignant que rarement la puissance émotionnelle du matériau d'origine (Poulet aux prunes) et un délire abscons au budget microscopique proche du film de vacances (La bande des Jotas), Marjane Satrapi semblait peiner à retrouver la force et la grâce de son Persepolis, coréalisé avec Vincent Paronnaud.
Autant dire que cet exil momentané au pays de l'Oncle Sam fait du bien à la cinéaste, portant à l'écran un scénario de Michael R. Perry et gagnant au passage quelques prix en festivals. Un accueil favorable amplement justifié, tant The Voices se révèle une belle surprise malgré une poignée de défauts évidents.
Vendu comme une comédie noire et délirante, le nouvel essai de Marjane Satrapi va bien au-delà de cette définition réductrice, s'intégrant parfaitement au reste de l'univers bâti par l'artiste. Comme à son habitude, Satrapi utilise l'humour cinglant et macabre, ainsi qu'un ton constamment décalé, pour mieux traiter d'un sujet extrêmement complexe et délicat. Loin d'être une simple pantalonnade au kitsch assumé, The Voices est surtout une réflexion pertinente sur la schizophrénie et notre vision personnelle du monde, le portrait à la fois tragique et touchant d'un esprit malade partagé entre la possibilité de rester dans un monde douillet mais factice et meurtrier, ou au contraire de tenter sa chance dans un quotidien morne et sans fantaisie.
Une dualité parfaitement représentée par les "consciences" de notre anti-héros, le gentil toutou représentant une bonté naturelle tandis que le perfide félin encouragera des instincts destructeurs ne demandant qu'à sortir. A moins que cela ne soit l'inverse, Marjane Satrapi jouant habilement avec notre perception et brouillant les pistes, bénéficiant d'une liberté de ton passant sans cesse du chaud au froid avec un talent certain.
Dommage dès lors que la cinéaste semble se perdre dans une dernière partie interminable et peu inspirée, traînant la patte avant de se reprendre lors d'un final ayant le mérite d'aller au bout de son propos et de ses intentions, formelles comme narratives. Une sortie de route heureusement compensée par la qualité de l'interprétation, Ryan Reynolds, constamment sur le fil, démontrant après Smockin' Aces et Buried qu'il peut être un immense comédien quand il est correctement dirigé et fait preuve également d'un sens comique qu'on ne lui connaissait pas encore, l'acteur doublant lui-même les compagnons à poils de son personnage. Ses partenaires féminines se montrent également parfaites, entre une Anna Kendrick adorable en girl next door, une Gemma Arterton sexy en diable et une Jacki Weaver impeccable comme toujours.
Retour gagnant pour Marjane Satrapi qui signe ici une oeuvre sincère et attachante, aussi sombre dans son propos qu'elle peut-être lumineuse dans sa forme. Un mélange des genres casse-gueule et imparfait, mais assurément précieux et doté d'un casting impeccable, mention particulière pour Ryan Reynolds, tout simplement immense.