Plus le temps avance, plus il est en théorie difficile de représenter le passé. Pourtant, ponctuellement, on y arrive de mieux en mieux. Des costumes au langage en passant par les accessoires et les décors, The Vast of Night est un exemple de film qui va plus loin que d’être une perle de reconstitution : c’est une simulation. Écrit comme un "teleplay" ancré dans l’ufomanie des années 1950, on le vit comme un pur produit médiatique d’époque, remis au goût du jour tout au plus. Le réalisateur, quand il devient scénariste, use d’ailleurs d’un pseudonyme pour marquer la rupture entre son œuvre "propre", le film fondamentalement indie qu’il nous propose derrière la bannière d’Amazon, et ce show suranné qui est à l'intérieur et qui se montre si éclairant sur la densité du monde d’alors.
Je parle de densité pour plusieurs raisons, mais surtout pour une histoire de rythme redécouvert. En effet, on a tendance à voir le monde d’aujourd'hui comme effréné, et celui qui l'a précédé comme lent. Mais Patterson propose une troisième vision : celle d’un monde *déjà* effréné, où l’on se dépêchait de vivre car tout était encore à inventer, et tout à dire sur une technologie en plein boom. On fantasmait et on se précipitait vers l’avenir promis, peuplé de voitures volantes et de téléphones portables – mais parfois on n'avait rien à faire d'autre que de vivre l'instant. Le film rappelle que patience et impatience ne sont pas opposés et c’est ce qui fait son charme : alors que l’histoire entière se passe sur quelques heures et qu’un sentiment d’urgence permanent la baigne, elle est remplie de flottements paisibles qui paraissent en contradiction avec ce qu’on connaît de la vie aujourd'hui, où la technologie nous permet de tout accélérer et de justement combler ces moments d’attente, ces vides qui nous semblent inutiles et qu’on redoute. C’est au creux de ceux-ci que Patterson construit un film qui rend hommage à une génération qui vivait le temps différemment, et bien sûr à la radio en général, où le silence visuel est requis pour que le son prenne vie (quelques fondus au noir nous le rappelleront).
Bourré de passion et de références pour un genre qui nous a donné Rencontres du troisième type et autres monuments dont l’aura peine à vieillir, The Vast of Night n’est pas tant un film de science-fiction qu’un film sur la pop culture de la science-fiction. Ça donne bon espoir que le genre ne mourra jamais vraiment, ni ne se fânera tant qu’on saura remasteriser le charme des temps passés.