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Voilà, voilà : "The Vast of Night", c'est un premier film produit, écrit, mis en scène et monté par un mec inconnu au look assez inhabituel - Charles Manson, le retour ? -, Andrew Patterson (mais qui opère sous d'autres mystérieux pseudonymes...) et diffusé par la plateforme Amazon Prime. Steven Soderbergh a adoubé le film, et clame son admiration. Du coup,la critique s'emballe, et parle de film de l'année. Et logiquement, tout le monde y va de son commentaire, dans le ton - logique, inévitable, même... - "non, mais arrêtez la hype, c'est vraiment pas terrible, c'est même pas du cinéma, il n'y a pas d'histoire, etc. etc.". Rien de surprenant en fait là-dedans, ça rappellera à tout fan de Rock les engouements démesurés de la presse anglaise à propos de chaque nouveau groupuscule punk local, suivi par l'inévitable retour de bâton...


"The Vast of Night" (beau titre, déjà...), c'est un mix de "Close encounter of the 3rd kind" (tout en étant l'antithèse absolu de la vision spielbergienne du cinéma) et de "X-Files", ça parle "d'alien abduction" à la fin des années 50 et dans un petit bled perdu du Nouveau-Mexique, et le scénario tient sur une serviette de papier froissée dans un diner américain. Pas grand chose à attendre de l'histoire, et même la fin, sans surprise et repoussée pendant 1h30, sera jugée "vide et décevante" par les uns ou "intensément poétique" par les autres. Visiblement peu d'argent pour tourner une histoire de S.F., et deux acteurs qui ressemblent à n'importe quel nerd de votre village périgourdin.


Mais je soutiendrai, moi, que Mr Soderbergh, qui, s'il n'est pas un grand cinéaste, est loin d'être un imbécile, a parfaitement raison : car il y a dans les 90 minutes de "The Vast of the Night" plus de CINEMA que l'on en a vu cette année dans tout le reste de la production mondiale. Entendons-nous bien, "The Vast of the Night" n'est pas un chef d'oeuvre, peut-être même pas un grand film, à peine un bon film, mais c'est, à chaque seconde, du P... DE CINEMA. De la pure magie, en fait : hypnotique, envoûtant, surprenant, stimulant, bouleversant parfois, novateur toujours. Il y a du concept, du vrai, pour les gens comme moi qui aiment ça, avec cette mise en abîme de la fiction présentée comme un épisode de série télé vintage. Il y a de la réflexion sur la puissance de la parole et du son comme vecteur principal de l'imaginaire, au point qu'on se passe même occasionnellement d'image. Il y a des tentatives absurdes de raconter l'histoire de manière différente, en alternant plans séquences en mouvement qui, dieu merci, atomisent la virtuosité pour atteindre la pure transe, et plans fixes avec un acteur ou une actrice qui parle, et longtemps. Il y a cette introduction complètement folle en "walk and talk" épuisant qui ferait passer Aaron Sorkin pour un disciple d'Ozu. Il y a... il y a...


...Mais j'arrête là : jugez-en plutôt par vous même. "The Vast of Night", c'est du Cinéma : ça arrête les conversations, ça fait oublier son p... de portable pendant une heure trente, ça remue des choses qu'on croyait mortes en soi, ça redonne la foi en la cinéphilie, même...


Un réalisateur est né, retenez son nom : Andrew Patterson. Ou peut-être pas, parce qu'il n'avait que ce film-là en lui, et ne fera plus jamais rien de bien. Ou parce qu'il va changer de nom la prochaine fois, sans doute. En fait, on s'en moque complètement : on a vu "The Vast of Night".


[Critique écrite en 2020]

EricDebarnot
8
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le 12 juil. 2020

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Eric BBYoda

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