Un nom à retenir désormais, même si c’est pas gagné : Myroslav Slaboshpytskiy. Premier film de ce réalisateur ukrainien surgi de nulle part, The tribe s’est fait remarquer cette année à la Semaine de la critique puisqu’il cumule toutes les figures ostensibles de l’œuvre scandale à même de plaire aux festivaliers et aux spectateurs en demande (en manque ?) de sensations fortes. Une durée conséquente de 2h10, une trentaine de plans-séquences, aucun dialogue (les personnages sont sourds et muets), pas de sous-titres, pas de voix off, pas de traduction, et pas mal de sexe et de violence avec, comme «récompense», deux scènes choc qui devraient faire causer (un avortement à l’ancienne et un final d’une brutalité inouïe, presque comique).


Cette pure mécanique de mise en scène a quelque chose d’assez fascinant (au début), et plus encore pour une personne non-malentendante. Chaque action se dit par la gestuelle des mains, dans l’expression des visages, chaque enjeu se devine dans la collision des corps, dans la valse des regards, et ce sans jamais nuire à la compréhension de l’intrigue. À l’oreille résonne le bruit des pas et le bruit des portes, l’écho des cris et des coups qui retentissent longtemps, au hasard de ce pensionnat délabré pour jeunes sourds et muets qui, déjà, apprennent à trafiquer, à voler, à prostituer, à frapper ou même à tuer. Ça rappelle le récent Leçons d’harmonie (et Orange mécanique un peu aussi, de loin) dans ce portrait brutal (mais sans surprise) d’une jeunesse sauvage et perdue que rien ne semble pouvoir arrêter, ni système ni morale ni répression.


Mais le procédé finit par tourner à vide dans son évidence, dans sa banalité démonstrative et programmatique : les scènes de sexe, par exemple, sont mal fichues, maladroites, toutes empêtrées dans leur artificialité. Et puis on l’a déjà maintes fois enduré, éprouvé aussi, supporté chez tant d’autres qui l’ont consacré et exploité jusqu’à la lie (chez Haneke, Seidl, Noé, Clarke, Zviaguintsev, Mungiu, Loznitsa ou Andersson, auxquels on pense inévitablement). Procédé qui semble avoir été expurgé de sa fonction, de sa grammaire et de sa finalité, et qui débarrasse le film de toute ferveur (répétition fastidieuse des scènes de tapin avec les routiers, lourdeur de celle des échanges de maillots, de celle des demandes de passeports…) et de toute empathie pour ses personnages (aucun ne parvient à nous toucher, à trouver un semblant de grâce).


On regarde The tribe non pas comme un éventuel film de cinéma, mais comme on s’intéresserait, figé et droit, à une espèce d’installation vidéo dans le noir maniant solennité et esbroufe, rigueur et schématisme. Si l’expérience proposée par Slaboshpytskiy reste déconcertante au moins dans sa première heure, sur la durée elle s’épuise, se ratatine et ne propose finalement plus grand-chose, sinon la seule prétention d’une œuvre rigide et sèche qui paraît contempler sa propre épate, sûre d’elle (vu le nombre de prix récoltés, elle eut tort de s’en priver) et oubliant d’y apporter ne serait-ce qu’un microgramme d’émotion.

mymp
6
Écrit par

Créée

le 22 sept. 2014

Critique lue 1.1K fois

18 j'aime

1 commentaire

mymp

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

18
1

D'autres avis sur The Tribe

The Tribe
Krokodebil
5

Les tripes

Un double parti-pris (esthétique et sémiotique, ou linguistique) préside le premier long-métrage de Myroslav Slaboshpytskiy, cinéaste ukrainien remarqué et lauréat de deux Ours d'or du court-métrage...

le 17 oct. 2014

18 j'aime

2

The Tribe
mymp
6

Des pieds et des mains

Un nom à retenir désormais, même si c’est pas gagné : Myroslav Slaboshpytskiy. Premier film de ce réalisateur ukrainien surgi de nulle part, The tribe s’est fait remarquer cette année à la Semaine de...

Par

le 22 sept. 2014

18 j'aime

1

The Tribe
Velvetman
8

The tribe

Myroslav Slaboshpytskiy nous plonge dans un silence tendancieux qui asphyxie la moindre parcelle de sensations sonores qui se trouvent sur son passage. Seuls des cris de douleurs, des claquements de...

le 9 oct. 2014

16 j'aime

1

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

164 j'aime

13

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25