La première heure de The Revenant est tout simplement exceptionnelle.


En une succession de plans séquences sublissimes, Inarritu dresse le portrait d'un homme minuscule au sein d'une nature aussi belle que dangereuse. D'emblée, les thèmes sont posés : homme contre nature, "civilisation" contre "sauvagerie", chasseurs Blancs contre Peaux Rouges.
Nous avons donc, en ce début de film, une expédition de trappeurs qui viennent chasser des animaux pour prendre leur peau. Loin des images bien lisses de Davy Crockett, nous avons ici une humanité féroce, brutale et sombre qui vit dans le sang et la boue. Une humanité à l'image de John Fitzgerald (interprété par un Tom Hardy à nouveau génial).
D'emblée, le film propose une opposition entre Fitzgerald et Hugh Glass (Leonardo DiCaprio) : l'un ouvert aux autres et au métissage culturel quand l'autre ne voit dans les Indiens que des tueurs à éliminer, l'un qui veille sur le cadavre de son fils quand l'autre menace de tuer son compagnon, l'un respectueux des cycles naturels quand l'autre ne voit que son profit financier. Opposition qui se poursuit sur un plan plus mystique, Glass ayant manifestement adopté la spiritualité indienne tandis que Fitzgerald se moque de Dieu. La confrontation des deux personnages constitue un des aspects les plus intéressants du film.


Et cette opposition nous en amène une autre : celle entre les "civilisés" et les "barbares". Bien entendu, les Blancs se pensent civilisés, mais ils chassent et tuent des animaux uniquement pour des bénéfices financiers, ils vivent dans des villes de boue, ils rejettent tout ce qui n'est pas comme eux, ils n'ont aucun respect ni pour la nature, ni pour la vie en général. Est-ce cela la civilisation ?
De l'autre côté; les Indiens ne sont pas assez développés dans le film pour que l'on puisse faire une comparaison fondée. Mais le personnage de Glass prend alors tout son intérêt, en tant que lien entre les deux peuples et les deux cultures. Car Glass nous est présenté comme une sorte de mélange de culture, Blanc se conduisant comme un Indien, connaissant les savoirs indiens, ayant un fils métis car ayant vécu avec une femme Indienne. Et donc, ayant subi les violences des Blancs venus massacrer son village.
C'est toute la partie Indienne de Glass qui va se déployer dans la seconde partie du film (la partie "survival" à proprement parler). C'est toute cette même partie indienne qui va donner un côté spirituel au film, faisant de The Revenant un mélange entre un film d'aventures sombre et un mysticisme poétique.
Le film est marqué par la phrase dite par la défunte épouse de Glass : "lorsque tu traverses une tempête, tiens-toi près d'un arbre : tu vois les branche bouger dans tous les sens, mais le tronc reste stable." Et toute l'oeuvre semble construite copmme une illustration de cet aphorisme, aussi bien dans métaphoriquement dans l'histoire (les tempêtes représentant les épreuves traversées par Glass) que visuellement dans ces images d'une forêt omniprésente, forêt qui se montre à fois son aspect splendide que sous son côté dangereux, inquiétant.
Pour survivre, Glass doit se rapprocher encore de la nature, au point de faire corps avec elle (scène du cheval). Il ne s'agit surtout pas de s'opposer à une nature tellement puissante qu'elle domine largement les frêles humains (les plans d'ensemble nous montrent tous des hommes minuscules écrasés par une nature impressionnante), mais de vivre avec elle.


Et c'est là qu'on commence à atteindre les limites du film. Inarritu n'hésite pas à employer des symboles lourds et simplistes pour amener une sorte de message bêbête. Symboliques les arbres dont les troncs restent immobiles, symbolique l'oiseau qui s'envole du corps de la femme pour montrer la mort, symboliques les multiples renaissances/résurrections de Glass. Des symboles lourds, déjà-vus, éculés pourrait-on dire.
Et puis, le film perd une partie non négligeable de son intérêt dans cette seconde partie "survival". Certes, il y a la performance de Leonardo, mais on a justement trop souvent l'impression d'assister à une sorte de one-man-show fait pour impressionner, alors que bien des personnages secondaires mériteraient d'être développés et laissent une certaine frustration.
De même, le combat final, que l'on attend avec une certaine impatience, se révèle, là aussi, bien frustrant, malgré la performance (rappelons-le) d'un Tom Hardy vraiment à l'aise et à sa place ici, qui vole même bien souvent la vedette à Leonardo.
On retrouve parfois les défauts habituels d'Inarritu, la longueur excessive, les messages simplistes. Un film qui reste cependant très intéressant, dont la première partie est remarquable, mais qui s'essouffle sur la durée.


[7,5/10]

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le 21 janv. 2016

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SanFelice

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