Combien de réalisateurs ont-ils aujourd’hui la même liberté et surtout les mêmes moyens à disposition qu’Alejandro González Inárritu ? Le bougre en profite pour concrétiser ses fantasmes de metteur en scène, monstrueux d’ambition. Lui reprocher de privilégier la forme sur le fond est donc légitime, mais force est de constater que l’émulsion « Birdman » de l’année dernière, alliant un unique plan-séquence et un propos sur la condition de l’artiste dans toute sa tragique contradiction aboutissait à un monument unique. Récompensé depuis par moult Oscars, l’homme nous revient maintenant, à mille lieues de Broadway, avec un western aride et glacé, austère et virtuose, porté par un Leonardo bien parti pour le choper à son tour, son Oscar.


Comme son prédécesseur, « The Revenant » laisse sans voix, en pleine apnée, de manière à rendre ardue la moindre réflexion sur le film. Les protagonistes des deux films ont beau tous deux défier les cieux par leurs actes, la comparaison s’arrête là tellement Inárritu s’efforce de ne pas capitaliser sur ses succès antérieurs. Ici, le combat du personnage principal est autrement plus absolu : survivre. Le radicalisme de la narration s’infiltre partout : le grand froid, les incessantes tueries entre colons et indiens, et cette nature si revêche, personnifiée successivement par les flots tourmentés des rivières, un ours et même une avalanche. Cette descente aux enfers hallucinatoire et sans concession rappelle « Aguirre, la colère de Dieu », de l’acharnement à accomplir une quête désespérée à l’atmosphère hyperréaliste qui semble suspendre le temps.


Du panel d’individus que le réalisateur décrit, il n’y a d’ailleurs bien que l’élément perturbateur interprété par Tom Hardy pour relativiser ces situations extrêmes. Lui, dans la fuite sous une pluie battante de flèches, s’alourdit des peaux de bêtes durement acquises tandis que Leonardo aka Glass ne pense qu’à sauver la peau de son rejeton. Le matérialisme sans panache face au sentiment universel de filiation, là est la principale dualité du film. Un antagonisme qui prend toute son ampleur dans la dernière partie du film, évoquant « Les Duellistes » de Ridley Scott : les deux démontrent à quel point la vengeance est vaine, sans issue. Avec cette ultime et révulsante lutte finale au corps à corps, on est loin de l’acmé vengeresse d’un film de Sergio Leone.


Mais la plus grande partie du film place l’homme dans une profonde solitude, perdu au milieu d’une nature à la beauté stupéfiante au point d’en étouffer. Faire surgir un sentiment de claustrophobie avec des décors pour le moins monumentaux, c’est le premier tour de force d’Inárritu qui invoque ainsi autant « Gravity » que « Valhalla Rising ». Il partage avec ces films une maîtrise presque pathologique du cadre, qui allie des plans-séquences éreintants et une photographie à se damner. La lumière tout particulièrement, est d’une finesse incroyable, sublimant chaque plan et justifiant à elle seule le calvaire que fut le tournage du film. Il plane enfin sur « The Revenant » un parfum mystique difficilement interprétable : Dieu aurait-il réellement une place, un sens dans cette arène sordide ? A l’image des courtes scènes de rêve et d’onirisme du film, le réalisateur reste dans le flou pour cet aspect du film, faisant de la spiritualité un point d’accroche glissant, illusoire pour notre Di Caprio pris dans la tourmente.


Avec « The Revenant », Inárritu accomplit un nouveau tour de force technique qui, malgré un petit passage à vide en milieu de métrage, vient sublimer une plongée en milieu hostile terrassante. La mort est finalement le cœur du film : elle plane au-dessus de chacun des personnages, comme une délivrance rarement envisagée, et pourtant tant désirée au point de ne plus la craindre.


Ma critique de "Birdman" :
http://www.senscritique.com/film/Birdman/critique/42201654

Marius_Jouanny
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le 28 févr. 2016

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