The Father semble obéir à un double dispositif: d'une part, une écriture cinématographique du temps (montage, raccords – ou "faux raccords"), de l'autre, une écriture théâtrale de l'espace (huis-clos, suggestion, abstraction, etc.). Cela s'explique, on l'imagine, par le matériau dramaturgique d'origine (The Father – ou plutôt Le Père est à l'origine une pièce de théâtre), tout en servant dans le même temps de justification à l'adaptation cinématographique. Or, si le dispositif de la pièce joue habilement avec les codes dramaturgiques, ce procédé peine à se traduire de manière toujours efficace à l'écran.


Comment rendre au cinéma l'espace malléable et fondamentalement suggestif d'une scène de théâtre ? L'astuce est-ici de recourir à des jeux de semblances et un dispositif trompe-l’œil : les différents appartements sont presque semblables, ont presque les mêmes couloirs, le même salon, à quelques détails près, certains visibles (couleurs de la peinture, tableaux, chaises etc.) et d'autres suggérées (place des objets, etc.). Or l'artifice a tendance ici à faire cache misère – et ce indépendamment de la qualité des plans, du montage ou de la composition.
Le problème n'est pas tant ici dans l'exécution, mais dans le simple fait que son caractère cinématographique ne relève presque intégralement que de l’exécution. Si la pièce intègre des techniques relevant du cinéma, elle n'a pas pour autant été écrite pour le médium du cinéma. De fait, une des seules scènes à exploiter l'espace de manière purement cinématographique (et non théâtrale), intervient lorsqu'en répondant à un appel semblant venir du dehors, le père ouvre un placard qui débouche sur un couloir d'hôpital. Ici l'espace s'ouvre sur un autre qui le continue, sans que ce changement soit marqué d'une rupture – ou d'une coupe. Ces jeux d'espace, dont le film semble avoir conscience tout en les sous-exploitant, auraient sans doute pu permettre une exploration plus radicale, entre les différents espaces du réels, d'un espace vécu plus que délimité.
De même, la structure de l’œuvre n'échappe pas à une logique calquée sur les limites du dispositif théâtral : les échanges de visages et de rôles entre les personnages semblent inclus dans des unités de scènes ; et ces même échanges n'interviennent que rarement le temps d'un raccord ou dans un dispositif de champ/contre-champ, c'est à dire entre unités cinématographiques.


En dehors d'une simple question d'adaptation ou d'exécution, l'argument de The Father repose sur un parti pris de subjectivité, celle du père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Ce parti-pris, autour duquel se structure l’œuvre tout en justifiant son caractère fragmentaire, aussi ingénieux et jouissif qu'il peut être, ne semble malheureusement pas mené jusqu'au bout.
Prise à part, la dernière (et par ailleurs très belle) scène devrait s'inscrire parfaitement dans la démarche comme l'aboutissement d'une longue entreprise de dépersonnalisation, de perte de conscience, dont témoigne le dernier plan qui traverse la vitre de la chambre pour ne plus filmer que des feuilles d'arbres, comme métaphore d'un effacement définitif, d'un ultime retour à la nature.
Or, ce n'est pas le seul écart que fais le film à son parti-pris de subjectivité. Plusieurs scènes en effet – y compris l'ouverture du film – suivent la perspective de la fille, sans que le père soit présent ou, à de rares exceptions, témoin. Si ces scènes relèvent d'un parti pris narratif et offrent un lien efficace entre les différentes parties du récit, le dispositif initial s'en trouve, sinon brisé, du moins affaibli.
De ce fait, Florian Zeller choisit souvent la clarté au détriment du sensible, et, par une volonté de trop structurer le déconstruit, nous livre un drame bourgeois au récit virtuose plutôt qu'une expérience radicale de l'aliénation.

locsi
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le 12 juin 2021

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