Les yeux sont le miroir de l'âme, paraît-il.


Et il suffit d'un regard, parfois, pour susciter mille émotions.


The Father me l'a rappelé cet après-midi, avec le regard tour à tour hébété et insondable de tristesse d'Anthony Hopkins.


En mettant en avant sa performance vulnérable et fragile.


Mais s'il représente l'attraction principale du film, il ne serait sans doute pas grand chose sans une partenaire de jeu au diapason. Pas grand chose non plus sans son réalisateur Florian Zeller, qui adapte ici sa propre pièce à sa main.


Le thème de l'oeuvre a de quoi faire peur, et elle le fait en nous confrontant à une réalité de plus en plus commune dans notre vie de tous les jours.


Sauf que Zeller ne se contente pas de faire vibrer la corde du pathos, de la larme facile ou de l'émotion sous la contrainte. Non.


Car en effet, il offre tout d'abord au spectateur un pur film de cinéma, en adaptant sa mise en scène à la mémoire troublée de son personnage principal, à la fois mouvante, changeante, translatée sur des visages et des lieux familiers, dont cet appartement souvent éclairé en lumière artificielle, qui tient à la fois du cocon rassurant et de la prison mentale claustro.


Florian Zeller s'attache ensuite à faire littéralement ressentir de manière viscérale la chute d'Anthony, le fait qu'il perde pied, sa désorientation temporelle. Pour cela, le récit se morcelle, malmène sa chronologie et répète le quotidien, certaines paroles, certaines scènes. Sans jamais pourtant larguer son public.


Le tour de force de The Father réside sans doute à faire ressentir ce qui se passe dans la tête d'Anthony, ainsi que la perte inexorable de ses repères, son insécurité permanente. Tout comme la fugacité de ses moments de lucidité, d'autant plus déchirant qu'Anthony a conscience qu'il s'enfonce peu à peu, sans retour, dans la nuit de sa mémoire.


Le désarroi, la résignation et la résilience de sa fille n'en sont que plus touchants. Quand elle ravale ses larmes, quand sa vie devient de plus en plus parasitée par le devoir de prendre soin de son père. Quand elle voit ses compagnons ne pas résister au poids du devoir, de la prise en charge de l'aîné. Olivia Colman lui prête sa douceur, ses traits bienveillants, ses légers sourires profitant d'une accalmie des plus plaisantes, avant que ce père ne s'enfonce dans le ressentiment, la colère et les piques aigrillardes injustes.


La peur, la perdition , la panique, l'abandon, les réminiscences, la réalité, le souvenir fantasmé ou traumatique se croisent dans The Father, symptôme de sa richesse sans jamais aller jusqu'au trop plein, jusqu'à cette séquence finale inéluctable, humaine et bouleversante, où Anthony rend les armes. Les derniers barrages de sa vie semblent sauter, dans une tristesse infinie : celle de devoir répéter de manière inlassable les mêmes choses, provoquer les mêmes colères, les mêmes bouleversements. Jour après jour. Pour encore une fois rassurer, calmer, consoler.


Et ne plus savoir ou poser sa tête.


Behind_the_Mask, qui jure mordicus qu'on lui a piqué sa montre.

Behind_the_Mask
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le 3 juin 2021

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