Un homme part chasser dans une forêt qu’il croyait connaître. Mais son chien s’enfuit puis son fusil disparaît. Alors qu’il se perd, une atmosphère hostile et étrange s’installe… à propos de The End, Guillaume Nicloux a expliqué désirer mettre un de ses rêves en image. Pour jouer le rôle du chasseur, du rêveur, du cinéaste, Gérard Depardieu, après The Valley of Love, semblait une évidence. La minceur du scénario est ainsi compensée par l’énorme présence et le plus petit marmonnement d’homme perdu de Depardieu. L’urgence à tourner, car chacun connaît la volatilité des rêves, aurait aussi conduit à une sortie e-cinéma. S’il est vrai que le film, un peu brouillon, bénéficie de la présence d’un cinéaste et de comédiens de renom, il n’en est pas moins possible qu’il risque de déconcerter les amateurs de scénarios, de références, de développement et de conclusion. Un producteur aurait-il pris le risque sur un synopsis aussi ténu ? (à quand les petits mouchoirs 3 ?)


Nicloux compare son désir de filmer cette histoire à ces visions confiées à l’écriture, au dessin automatique. L’écriture automatique liée à la communication avec les esprits naît au 19ème siècle. Allan Kardec (gendre du Mage Philippe de Lyon), père du spiritisme et auteur du célèbre Livre des Esprits, l’utilise sous le nom de psychographie. L’écriture automatique existe aussi comme l’une des principales caractéristiques du mouvement surréaliste d’André Breton, postulat se basant d’abord et avant tout sur les travaux effectués par Sigmund Freud sur l’inconscient. D’ailleurs, Breton définit le surréalisme (Manifeste) comme un automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. C’est dit : soit de toute autre manière doit comprendre le cinéma. Dans les années 70, l’auteur Paul Misraki, compositeur, écrivain évoquait dans L’expérience de l’après-vie, un dialogue avec les morts grâce à l’écriture automatique. Victor Hugo, James Pike, Roland de Jouvenel, Léon Denis, Camille Flammarion et Jean Prieur, avant lui, répondront peut-être aux questions posées par The Valley of Love et The End.


Surréalisme, psychanalyse, parapsychologie… Toute ressemblance entre The End et The Valley of Love ne saura donc être que non-fortuite. Aux amateurs de cinéma de genre, The End rappellera sans doute Le Projet Blair Witch, sans le « Found footage ». Avec Nicloux, l’image est léchée, la forêt belle, le ciel bleu et aucun chuchotement suspect n’introduit d’angoisse sous-jacente, si ce n’est la musique peu pertinente d’Eric Demarsan. Nos ascensions, nos chûtes, nos psychodrames gagnent-ils à ces monodrames ? - Les cinémas, ascenseurs, supermarchés doivent-ils être sonorisés ? - Sans musique, cette forêt répond à la vision bucolique d'un Lucrèce : frondiferasque domos auium camposque uirentis… Mais, restons vigilants, une forêt reste une forêt. Loin des forêts profondes et sous la neige, on pense également à l’errance cinématographique de Jack Torrance dans les couloirs presque déserts de l’Overlook (Jack Nicholson, Stanley Kubrick, Shinning). Le film de Nicloux contrairement aux deux films cités se garde heureusement de toute préméditation, même si le décor de la maison du chasseur : portrait d’une femme édentée, bibelots bons pour le vide grenier… suggère un abandon sans désordre, une errance routinière, une solitude encombrée, propices aux appels délirants du vide. Sur ce sujet, la question pourrait être : le fou fait-il la vision ou la vision fait-elle le fou ? au début et à la fin du film, l’homme se réveille dans une maison vide pour ce qui semble être Une histoire sans fin. Mais se réveille-t-il ? Est-il mort ? Mourir.., dormir, dormir ! peut-être rêver !


Après la vision d'animaux inquiétants et eux aussi désorientés, l’apparition du premier personnage (Swann Arlaud) consacre le verbe, cinglant, névrotique, menaçant. Ce promeneur qui ne semble ni égaré, ni désireux d’aider correspond-il à la vision d’un homme épuisé ? Est-ce un messager, un spectre vengeur ? Le monologue est interrompu. De l'enfant perdu (celui des tables de multiplication), l'homme égaré (celui qui veut ignorer son histoire), abandonne le bredouillement. Nos imaginations s’emballes. Le chasseur n’évoquait-il pas une vie bien remplie, de bonnes actions et des saloperies ? On frôle l’égarement. Le récit du jeune promeneur et sa participation à la mise à mort d’une vache perpétrée en compagnie de voyous désœuvrés, fait craindre la récupération de ce qui n’est pas une histoire par un discours sur la culpabilité ou la vengeance d’un spéciste, d'un vegan. On craint soudain l’admonestation morale sur le mode : un chasseur a-t-il le droit de s’offusquer de la maltraitance des animaux ? Fort heureusement, la réponse passe à la trappe. Le deuxième personnage, une femme nue décharnée, égarée, mutique (Audrey Bonnet), fout la trouille sans rien résoudre. Le labyrinthe reste infranchissable, même si dans son principe, il possède deux entrées et deux sorties. Pour mémoire, c’est à l’origine les entrailles des animaux sacrifiés pour l’art divinatoire qui suggérèrent la forme du labyrinthe. Mais, lorsque l’on met les pieds dans un labyrinthe extérieur, c'est qu’on entre aussi dans un labyrinthe intérieur. Nul ne voyage sans ses images, ses peurs remords et regrets. Un troisième personnage (en fait deux Xavier Bauvois et Didier Abot), un randonneur, dénoue l’intrigue ; simplement (trop). Le chasseur regagne son antre avec la jeune femme (la brune Blanche Neige et le chasseur). Il n’a pas rêvé. Elle semble bien réelle. Douchée, rassérénée, nourrie, elle met fin à l’histoire d’un seul geste, puisqu'il faut bien se résoudre, le livre terminé, à claquer la couverture. Lorsque le réveil sonne, la même histoire recommence. La même histoire ? Quelques éléments du décor nous invitent à penser que non. Où est passé le chien ?


The End propose une véritable alternative au cinéma commercial et au cinéma d’auteur. En art contemporain, on parlerait de performance. Il n’y a pas de pensées ou de gestes créatifs vides. Certes, le film repose grandement sur la personnalité d’un Depardieu baladant haletant sa silhouette d’ogre aux cruelles douceurs d’un Tiffauges (le Roi des Aulnes de Michel Tournier). Quel comédien pourrait répondre à ce type de promenades. Son grommelot, lorsqu’il lutte pour ne pas perdre pied en se récitant des tables de multiplication (6x7 ?), émeut aux larmes. Mention spéciale à Swann Arlaud et surtout à Audrey Bonnet, troublante. On aura le droit de trouver The End trop énigmatique et un tantinet long. Rien n’empêchera de se réveiller avant. Mais attention, comme l'affirmait ironique Somerset Maugham (bien avant Christophe Salin): dreams sometimes come true.

Lissagaray
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le 10 juil. 2019

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