
Ayé. Après des années de procrastination égocentrée, Jim s’est finalement fracturé popol. Rien de bien méchant cependant, qu’il se rassure. Contrairement à l’Humanité, condamnée à mort d’avoir trop fracturé les pôles du globe et d’avoir renversé son axe de rotation, son cinéma tourne toujours bien rond...
Tout compte fait, pas sûr qu’il y ait de quoi être rassuré. Si l’Homme meurt d’avoir trop été un homme, c’est-à-dire, cet être futile, superficiel et matérialiste (auto)destructeur (c’est pas moi qui le dit mais Jim), qu’adviendrait-il d’un cinéma qui aurait trop été lui-même ? La mort à n’en point douter. En l’occurrence, celle d’un cinéma devenu trop « jarmuschien », c’est-à-dire une errance désabusée et désincarnée vers un passé présenté, sinon mieux, du moins plus enviable que le présent. Jarmusch prophétise donc à son cinéma ce qu’il promet ici à l’Homme : son extinction. C’est en effet ce qui guette lorsque l’on évolue en vase clos ; il arrive fatalement un moment où l’inceste compromet la fertilité et empêche par conséquent la moindre créativité.
Le paradoxe du film tient donc en ceci que le nomadisme cinématographique de Jarmush, autrefois rafraichissant, s’est progressivement sédentarisé. On le prédisait déjà à l’époque de Only Lovers Left Alive, mais c’est désormais acté. Car le nomadisme, si ce n’est dans l’Art en général, du moins au cinéma, tient moins du mouvement que du changement. Et force est de constater que depuis Broken Flowers, voire même Coffee and Cigarettes, le cinéma de Jarmusch n’a pas d’avantage changé que sa coupe de cheveux. Sûr de lui, il s’est même renfermé sur lui-même, à la faveur d’un mouvement réflexif opéré il y a maintenant plusieurs films. Les personnages tournent en rond, radotent, déblatèrent sur du vent, déclament des dialogues insipides et ne font même plus semblant de jouer dans un film (ce dernier point aurait par ailleurs pu être une bonne idée s’il ne révélait en réalité la profonde vacuité du film).
Jarmusch discourait jadis de la platitude de l’existence et de notre époque Comme le faisait un Cioran : de manière implacable, bien que contestable (on a tous un avis sur la chose). Il démontrait en s’abstrayant de l’objet de son ressentiment. Ou alors, lorsqu’il s’y incluait, c’était volontairement pour mieux en révéler les contradictions. Dans les deux cas, sa démonstration ne souffrait d’aucuns vices de logique. Aujourd’hui, ses films, en l’occurrence celui-ci, n’ont plus cette distance salutaire et sont devenus ce qu’ils critiquent : vains, plats, caduques, auto-référencés, chiants à mourir et font regretter le Jarmusch d'antan. La forme a épousé le fond et gageons que ce mariage incestueux ne lui réussira pas plus qu’aux autres. On pourra toujours trouver la mise en abîme culottée, mais encore faut-il qu’elle soit volontaire. Quoiqu’il en soit réellement, elle n’en est pas moins désastreuse. Bref, il serait temps pour Jarmusch de se dégoter une maîtresse s’il ne veut pas divorcer de lui-même. Car s’il continue dans cette voie, il nous aura tous transformé en zombies avant qu’on ait eu le temps de détruire la planète. Ceux du film retournant inlassablement à leur précédente activité, je le suspecterai presque d’en être déjà un.