Film de zombie pour ceux qui n'aiment pas les zombies et les films de genre. The Dead Don't Die est un film très relâché dans son écriture (des arcs narratifs inachevés, ou terminés hors champs, mauvais présage que le film prend sa source dans un cynisme marvellesque qui se désintéresse de ce qu'il raconte), dans son ambition (aucune idée qui renouvelle le genre, tout a déjà été dit en bien mieux, bien plus subtilement et avec plus de soin) et dans sa réalisation: image laide en lumière naturelle, des travellings qui s'accélèrent et se ralentissent en post-prod, un maquillage digne de la foire de Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson, et un montage plus lent que la mort elle-même. Tout le monde traîne la patte à Centerville, et la paresse culmine dans les blagues méta, signes révélateurs d'un abandon pur et simple de toute velléités artistiques.


Comme d'habitude, "Jim" fait un film avec ses potes, en pensant amuser la galerie sur fond d'idées qui ont quarante ans de retard. Le message de fin, lourd et bien-pensant, confirme que le film est fait par un vieux con qui n'a pas compris l'intérêt thématique, métaphysique et social du genre qu'il investit. On en viendrait presque à penser que "Jim" le considère littéralement comme un sous-genre qu'il cherche à transcender via ses commentaires décalés. Le film se termine sur un monologue boursouflé, que beaucoup d'amateurs qualifient déjà de "parodie" pour mieux aborder ce film monstrueux, qui formule textuellement le discours social qui sous-tend déjà les films de zombies, comme si "Jim" pensait avoir décelé l'intérêt philosophique de l'objet cinématographique et en extrayait la subtile moelle épinière pour mieux nous la impartir. A relire Bourdieu, on comprendra mieux pourquoi mettre des grands mots sur une oeuvre populaire aide à la légitimer aux yeux de l'élite, surtout si ce discours provient d'une figure autoritaire (au sens d'auteur, ce qu'est malheureusement cet escroc de Jarmusch). Pour résumé, cette démarche auteuriste de gentrification zombiesque rappelle que le cadavre cannois dissimule encore et toujours sa putréfaction intellectuelle en parfumant son corps d'éléments hétéroclites de la pop-culture, pris au hasard, dans un désintérêt total, pour donner une légitimité au film de genre (dont elle se passerait volontiers) et un renouvellement illusoire aux yeux de la critique.


Au final, le film aurait pu parler de fantômes, d'aliens, de monstres de Frankenstein... Jim Jarmusch se fiche de l'unique puissance évocatrice qui se dégage de chacun d'entre eux, si tant est qu'il parvient encore à exhiber ses références artistiques et son second degré (second degré qui n'est pas tant là pour parsemer le film d'humour, mais pour justifier son incompétence artistique). Après les vampires, les samurai et les zombies, on attend avec impatience quelle nouvelle figure canonique du cinéma de genre "Jim" essaiera de dévitaliser à coups de citations littéraires absconses, miroir aux alouettes pitoyable dont le reflet flattera l'élite paumée, mais seule boussole pour leur ego perdu dans un genre qu'ils ne connaissent pas et ne veulent pas connaitre.


On préférera Edgar Wright, qui aime les zombies et qui y rend hommage, sans chercher à (des)intellectualiser son sujet, à le prendre de haut ou à le rendre accessible au public si particulier qu'est le spectateur cannois, qui sera agréablement surpris par ce film faussement subversif, entre deux films des frères Dardenne.


"Jim" ferait mieux de s'en tenir à ses films "d'auteur" chiants et vains, mais bien plus digestes. En soi, la fusion des deux villes Paterson et Centerville n'était pas la plus judicieuse, vu comment la première a gentrifié la deuxième.


Rendre des zombies agréables, un comble.

Lear_Yorick
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le 14 mai 2019

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Lear Yorick

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