The Dawn Wall
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The Dawn Wall

Documentaire de Peter Mortimer et Josh Lowell (2018)

Qu’est-ce que l’héroïsme ?


On ne se pose jamais vraiment la question, bien qu’elle soit essentielle pour appréhender un système de valeurs. Lorsqu’il s’agit de porter un regard ou une appréciation sur une personne, sur sa morale, sur ce qui la définit en tant qu’être humain et sur la place qu’elle occupe sur l’échelle de la bonté, nous n’avons pas tous le même référentiel.


Bien sûr, il y a des évidences et certains personnages feront l’unanimité en fonction de leurs prises de position d’ordre politique, philosophique ou juste social qui auront permis de grandes avancées sociétales (Mandela, Gandhi, Malcolm X ou encore Coluche).


Mais en dehors de ces figures évidentes, rien ne permet d’affirmer que nous avons tous la même conception de l’héroïsme.
A titre d’exemple, les journalistes sportifs qualifient régulièrement à l’emporte-pièce de héros tout athlète (au sens large) de la Nation qui, à l’occasion d’une manifestation sportive, décroche un podium, une médaille ou une coupe, sans même se préoccuper de savoir si l’individu en question ne collera pas une torgnole à son/sa conjoint·e en rentrant à la maison ou s’il ne fera pas peu de cas de la condition de la jeune femme n’ayant à l’évidence pas la majorité qu’on lui aura « offerte » à l’occasion d’une soirée spéciale.


Dans un autre registre, les politiques prennent un plaisir non dissimulé à incarner l’homme ou la femme providentiel·le aux yeux de leurs électeurs qui, pour les plus fervents supporters, les glorifient sans retenue. Il suffit de voir les messages de soutien à des raclures comme les Balkany du côté de Levallois, ou les montagnes d’agités qui éructent lorsque Marine entre sur scène pour ses meetings à l’occasion de chaque élection, voire encore la marche impériale au Louvre mise en scène par Macron lors de son élection entraînant un torrent d’admiration.


L’héroïsation connaît clairement des degrés divers en fonction de l’individu, de son échelle morale et ne tendra pas systématiquement à définir les mêmes personnes.


Pourtant, au sortir du visionnage du documentaire The Dawn Wall, difficile de ne pas s’interroger sur ce point tant l’homme qui nous y est présenté semble remplir tous les critères qui devraient entrer en ligne de compte lorsque l’on se risque à une telle qualification.


Si vous êtes comme moi et ne connaissez rien au monde de l’escalade, il est presque certain que vous n’avez jamais entendu parler de Tommy Caldwell. Et justement, le visionnage de The Dawn Wall me fait dire qu’il est plus que recommandé de découvrir son parcours.


Introduit comme un enfant pas bien brillant, voire assez lent d’esprit, il ne semblait pas voué à une destinée hors norme. Pourtant, avec un père qui l’a initié très tôt à la pratique de l’escalade mais surtout une expérience traumatisante au Kirghizistan qui l’a poussé à faire un choix horrible et qui a cristallisé son mode de pensée, Tommy Caldwell s’est forgé un mental et un physique lui permettant de prendre le dessus de toutes les parois auxquelles il s’est confronté.


Pourtant, quand il décide de s’attaquer à la mythique paroi d’El Capitan, la joliment nommée Dawn Wall, en plein cœur de la vallée de Yosemite, personne n’y croit, d’autant qu’il est physiquement diminué et que cette face spécifique n’a jamais été escaladée. En fait, il semble le seul à y croire et se lance dans un travail de titan pour imaginer une trace, un passage, qui rendrait possible l’ascension. Convaincu qu’il ne peut surmonter une telle épreuve sans aide, il en profitera pour recruter un volontaire, aussi tête brûlée que lui, Kevin Jorgeson. Pendant des années, ils s’entraîneront, essaieront, échoueront, adapteront leur approche, travailleront leur prise… Il est juste fascinant de regarder des personnes se préparer avec un tel dévouement et une telle minutie avant de littéralement se jeter contre un mur.


Je n’ai aucune inclinaison pour l’escalade et, pourtant, j’ai été soufflé par ce documentaire. Les images sont à tomber, ce gigantesque roc de plus de 900 mètres étant particulièrement écrasant. Par ailleurs, il est impressionnant de voir avec quelle intrépidité ces hommes et femmes se promènent sur des parois en développant une force considérable pour s’accrocher à quelques millimètres de rocher. On devine à peine la puissance qu’ils imposent sur seulement deux ou trois doigts parfois, puissance qui fait la différence entre stabilité et chute.


Mais c’est la leçon de vie que donne Tommy Caldwell, peut-être même sans le vouloir ou le savoir, qui rend ce documentaire essentiel. Au-delà de la performance physique et de l’abnégation dont il faut faire preuve pour affronter des épreuves pareilles, c’est le drame humain qui se joue sous nos yeux et la compréhension soudaine chez le spectateur de sa conception de la réussite qui rendent légendaire l’épopée et héroïque sa personne


Et notez qu’à ce stade, j’ai à dessein éludé certains détails qui m’ont proprement fait halluciner sur ce que ce type a été capable de choisir et sur sa beauté d’âme. Oui, c’est un héros et je pense qu’aucune personne ayant vu le documentaire ne se risquerait à me contredire sur ce point. Au jour de publication de cette critique, le film est proposé par Netflix dans son catalogue et je vous incite à ne pas le rater (que vous ayez apprécié cette critique ou non).


Un merci particulier à Daniel et Stéphane du Super Ciné Battle qui avaient traité il y a quelque temps les documentaires de Jimmy Chin (Meru et Free Solo), évoquant justement Tommy Caldwell. De fil en aiguille, je suis tombé sur The Dawn Wall.

Flibustier_Grivois
9

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Créée

le 5 févr. 2020

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