The Crossing
6.4
The Crossing

Film de John Woo (2014)

Avec sa piètre réputation, son cuisant échec au box-office et sa seconde partie rafistolée dans l'urgence pour essayer de sauver les meubles (et son budget), la dernière saga de John Woo n'a pas bousculé les distributeurs étrangers ni même crée l'enthousiasme chez les nombreux fans du cinéaste peu motivé par ce changement de registre pour le cinéaste qui s'essaye à la fresque mélodramatique et historique, retraçant l'histoire vraie d'un naufrage ayant couté la vie d'un millier de personne. Bref, rapidement catégorisé en sous "Titanic" The crossing semble embarrasser tout le monde qui préfère détourner le regard comme si le film n'existait pas.
Moi le premier, j'hésitais depuis quelques temps à acheter les blu-ray taiwanais, les seuls disponibles facilement en import, et j'ai finalement sauté le pas lors de mon voyage en Chine en trouvant des éditions pas trop cher (pirates en fait). Et bien, je ne regrette pas ! Ce n'est clairement pas la plus grande réussite du cinéaste et le diptyque est bancal a plus d'un titre mais il ne mérite absolument pas ce purgatoire dans lequel il est tombé.


Premier constat vraiment positif : c'est un pur film de John Woo et on sent vraiment son style. Je dirais même plus : sa réalisation m'avait manqué. Ses fondus, ses travellings, ses mouvements de grue, sa fluidité... En un mot sa musicalité m'avait manqué. Et pour l'occasion, et vu le sujet, il n'est plus opératique mais symphonique pour un film choral où Woo jongle entre une demi-douzaine de caractère, l'équivalent de 3 couples. Son scénario comme sa mise en scène sont plus que jamais une véritable partition et sa caméra est comme une baguette de chef d’œuvre qui donne le tempo glissant littéralement d'un visage à l'autre, oscillant d'un personnage à l'autre. Les plans sont ainsi assez longs pour une chorégraphie du mouvement virevoltante et élégante, n'hésitant pas à jouer notamment d'un gigantesque envol pour lier en un seul plan les deux personnages féminins, chacune dans un secteur très différent de Shanghai. C'est sans doute son film qui assume le plus son classicisme hollywoodien suranné, façon David Lean d'autant que le budget et la reconstitution sont impressionnant et parfaitement maitrisés (décor, costumes, figuration en pagaille). Dans ses meilleurs moments, en tout cas pour qui aime ce style, c'est remarquable, tant dans la légèreté (comme toute la séquence du bal) que dans la gravité (la précarité autour de Zhang Ziyi). L'autre excellente surprise, et j'en suis le premier surpris, c'est que John Woo évite généralement la mièvrerie dans laquelle il est souvent tombé. J'avais des craintes à le voir affronter le mélodrame et les histoires d'amour mais pour le coup, il a réussi à en contourner les pièges. Quelques passages romantiques possèdent bien-sûr une réelle candeur mais qui est souvent contrebalancé par une tonalité plus amer. Il est ainsi vraiment étonnant de le voir filmer Zhang Ziyi se livrer à la prostitution sans le moindre pathos, avec d'habiles ellipses.
Ca conduit au troisième point positif et sans doute le plus audacieux vu la production cinématographique chinoise actuelle : le choix et le traitement des personnages. Pour voir qu'il s'agit en grande partie d'un film de guerre mettant en scène l'affrontement entre armée nationale et les révolutionnaires communistes, The crossing évite toute propagande ou lecture politique : aucun patriote mais prostituée, taïwanais enrôlé dans l'armée japonaise, bourgeoisie, officier militaire (et non communiste). C'est assez incroyable que Woo ai réussi à imposer et conserver ces différents personnages qui vont à l'encontre de tous les diktats du pouvoir chinois et c'est d'autant plus admirable que jamais ces personnages ne sont jugés ou condamnés pour ce qu'ils sont ou font. John Woo reste concentré sur eux, leurs sentiments et évite les poncifs attendus même si Woo n'a de toute façon jamais été un cinéaste politisé.


Alors qu'est-ce qui coince du coup dans The crossing et qui explique son échec retentissant ? Plusieurs points malheureusement. Il y a bien-sûr ce style, loin du clinquant pétaradant des autres blockbusters chinois qui font passer le classicisme Wooien pour de l'anachronisme désuet. Autrement plus gênant, il y aussi de gros problèmes de rythme et de structure. On devine que Woo a un peu galéré au montage pour retrouver la fluidité qu'il avait sur le plateau avec ses comédiens et sa caméra. la gestion de la temporalité est assez maladroite et on a l'impression que quelques jours correspondent pour d'autres personnages à plusieurs mois. Il y a surtout d'énormes tunnels et longueurs, principalement dans la seconde moitié qui est recentré sur le front de guerre. C'est d'ailleurs assez incroyable de se dire que le cinéaste semble plus à l'aise à décrire le quotidien des personnages féminins que celui des soldats. Il faut dire que les enjeux de ceux-ci sont assez plats, se résumant à des problèmes assez conventionnels et stéréotypés du film de guerre même si le personnage de Yifang est assez touchant. C'est le moment où l'approche dé-politisé de John Woo se retourne contre lui en n'osant pas aborder de front le conflit idéologique et morale entre une population, ancien amis et voisins, contraint de se faire une guerre fratricide, surtout à une époque où les jeux semblent faits.
Par contre la maestria du cinéaste pour les deux scène de batailles n'est plus à démontrer et certains plans sont assez dingues. Mais ça ne fait que deux scènes de bataille pour 2h10 de film qui manque de climax pour relancer les rouages de sa fresque. Ce premier épisode a en effet des airs de longue exposition pour annoncer le drame du naufrage. Car oui, durant ce premier film, ce bateau n'intervient que comme un horizon lointain mais jamais une finalité claire. On peut comprendre que le public se soit senti frustré, pour ne pas dire floué.
La réalisation a beau être régulièrement brillante et d'une grande beauté plastique (ahhhh, la découverte de la maison japonaise à Taïwan avec la lettre cachée dans un tableau), on se demande régulièrement quand est-ce que l'histoire va enfin commencer. Et c'est quelqu'un qui adore le style John Woo qui le dit.

anthonyplu
7
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le 5 juil. 2017

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anthonyplu

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