The Creator
6.4
The Creator

Film de Gareth Edwards (2023)

Voir le film

Dans moins de cinquante ans dans notre futur (un futur sans crise climatique, et où seuls les USA et l’Asie semblent avoir survécu, mais c’est un détail…), les AI – logées dans des corps de robots sortis tout droit de Star Wars – causent la destruction de Los Angeles en faisant exploser une bombe atomique. Le gouvernement US déclare la guerre totale aux AI, alors qu’en Asie, la population (car il ne semble pas y avoir de structure étatique, pour le coup) a pactisé et même fraternisé avec elles. Qui plus est, y vit caché quelque part un mystérieux « créateur » qui aurait développé une arme absolue pouvant faire basculer la guerre, et que les militaires US veulent à tout prix débusquer. Au milieu de cette situation pour le moins confuse, l’agent Joshua (John David Washington, dans un registre très similaire à celui de son rôle dans Tenet) tente de retrouver sa femme, qui aurait survécu cinq ans auparavant à une attaque américaine…

A partir de ce point de départ, Gareth Edwards et son co-scénariste Chris Weitz (avec lequel il avait déjà écrit Rogue One, le seul « vrai film adulte » de l’univers Star Wars) ont imaginé une épopée gigantesque, doublée d’une quête émotionnelle (le « héros » est à la recherche de son amour perdu et du bébé qu’elle portait), qui prône, tel un anti-Terminator, la coexistence entre espèces, voire l’acceptation par l’humanité de sa disparition sous sa forme « pure ». Politiquement, The Creator est pour le moins audacieux, et révulsera les droites effrayées par « le grand remplacement », en prenant acte de la nécessité, ou mieux, de l’acceptation de la fin de notre civilisation.

Plus polémique potentiellement encore, Edwards et Weitz placent au cœur de leur film une très longue scène de massacre perpétué par l’armée US contre la population civile asiatique, alliée avec les robots / AI, et luttant héroïquement malgré le déséquilibre des forces en présence : impossible de ne pas y voir une réminiscence des atrocités commises au Vietnam, et une condamnation sans appel de l’ingérence US dans les choix politiques (le communisme, à l’époque, et ici l’assimilation de l’AI) d’autrui ! Vu sous cet angle, The Creator est passionnant, et dépasse largement le débat, finalement peu illustré ici, de l’apport potentiel de l’AI à la société humaine, et de ses dangers. Et cette fameuse scène, impressionnante du point de vue mise en scène et émotionnellement très forte, constitue le sommet d’un film qui, par ailleurs, est relativement décevant…

Décevant, The Creator l’est, car il est à la fois trop court et trop long. Avec guère plus de deux heures cinq minutes hors générique à leur disposition, les scénaristes réussissent pourtant à s’emmêler les pinceaux avec des scènes répétitives, qui n’apportent rien au film, générant un long tunnel d’ennui au centre du film. A d’autres moments, ils s’efforcent de raconter des péripéties complexes à un rythme épuisant, ce qui empêche que le spectateur puisse s’impliquer convenablement au côté des personnages, et le place dans une position extérieure à l’action. Si l’on prend, par exemple, l’incroyable rapidité avec laquelle Edwards expédie l’évasion de Joshua et Alphie et leur arrivée sur Nomad, on ne peut s’empêcher de ricaner devant la manière dont tous les obstacles sont facilement contournés par les fugitifs. Du coup, la suspension de l’incrédulité ne fonctionne plus, et le spectateur décroche – ce qui se produit régulièrement – devant un film qui en devient littéralement interminable. Si l’on ajoute une multiplication honteuse de coïncidences favorables, de raccourcis invraisemblables, et de situations absurdes, on ne peut que déplorer qu’un tel « film d’auteur » (car, indéniablement, The Creator est un film d’auteur à gros budget, et non une grosse machine de studio…) tombe dans les mêmes travers que n’importe quelle production hollywoodienne lambda.

Il reste toutefois une autre raison d’aller voir The Creator que son discours politique, et c’est l’impressionnante qualité – au sens de vraisemblance – de ses effets spéciaux, absolument bluffants du début à la fin, qui nous aide à passer outre un recyclage d’idées, voire de clichés déjà vus dans d’autres films. Le choix d’une image chaude, réaliste, à l’opposé de l’esthétique SF dominante au cinéma et dans les séries TV, embellit encore The Creator, renforçant la « vision » des auteurs. Du coup, on se dit que c’est d’autant plus dommage que Edwards et Weitz n’aient pas mieux travaillé et leur scénario et le rythme général de leur film : on passe à côté de ce qui aurait pu être un nouveau chef d’œuvre du genre.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/09/28/the-creator-de-gareth-edwards-le-grand-remplacement/

EricDebarnot
6
Écrit par

Créée

le 29 sept. 2023

Critique lue 956 fois

29 j'aime

4 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 956 fois

29
4

D'autres avis sur The Creator

The Creator
Sergent_Pepper
7

Humans after fall

Alors que l’industrie du blockbuster suffoque sous l’essorage de franchises qui commencent peut-être enfin à lasser même le grand public, l’arrivée d’une proposition comme The Creator ne peut que...

le 30 sept. 2023

81 j'aime

13

The Creator
Behind_the_Mask
8

More human than human

A l'heure où le cinéphile ne cesse de pester contre la privatisation des salles obscures par les adaptations, suites, remakes, séries à rallonge et autres super héros dont on a ras-la-casquette, The...

le 29 sept. 2023

60 j'aime

9

The Creator
Cineratu
5

The Creaminator

Bon. Ça fait quelque temps qu'on nous casse les noisettes avec ce film. Comme quoi, ce serait le Messie du cinéma d'action/SF, le renouveau d'Hollywood. Un film novateur et original, car il...

le 2 oct. 2023

49 j'aime

10

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

185 j'aime

25