Après Michael Keaton, Val Kilmer, George Clooney, Christian Bale et Ben Affleck, c’est aujourd’hui au tour de Robert Pattinson de reprendre le rôle emblématique du justicier le plus torturé de tous. De même, après Tim Burton, Joel Schumacher, Christopher Nolan et Zack Snyder, Matt Reeves se voit être le nouveau metteur en scène des aventures du caped crusader. Pour l’un comme pour l’autre, la tâche de créer une nouvelle itération du Batman devait être des plus déstabilisantes, le poids de l’héritage qu’un tel personnage porte sur le dos étant considérable. Car Batman, au-delà de la figure emblématique du super-héros sombre et complexe qu’on lui connaît des comics, c’est une véritable icône de cinéma. Son personnage, comme sa mythologie, a fait l’objet de nombreuses adaptations et, par conséquent, est passé par différents points de vue artistiques. Qu’il s’agisse du play-boy à l’humour pince-sans-rire de Keaton, du clownesque Clooney, du justicier torturé et désireux de sans cesse repousser ses limites de Bale ou encore de l’imposant Affleck, Batman sera passé par de nombreuses interprétations (tant de la part du comédien que du réalisateur qui le mettait en scène) sans jamais donner au public le sentiment d’une répétition par rapport à une itération précédente.


Mais voilà donc que, armé de leur plus grand courage, le duo Pattinson/Reeves débarque dans nos salles de cinéma pour nous proposer une nouvelle version de ce personnage bien connu de tous. Le film se permettra même de s’extraire de tout univers cinématographique, chose rare dans le cinéma de super-héros ces derniers temps, en se plaçant comme un « One-shot », un film qui se suffirait à lui-même, comme l’était le Joker en 2019 (quand on sait que le long-métrage de Todd Phillipps aura bel et bien droit à une suite, le terme de « One-Shot" fait sourire). Un nouveau réalisateur ayant déjà fait ses preuves, un acteur star désireux de prouver au grand public que son rôle de beau vampire tout brillant dans Twilight n’était qu’une erreur passagère, et la possibilité de créer, de jouir du coffre à jouets, sans avoir à se soucier d’une quelconque continuité : les astres semblaient alignés. Mais qu’en est-il réellement ?


Une chose est sûre, et nous avons tous pu le constater lors de la sortie de la première bande-annonce, le long-métrage de Matt Reeves possède une approche esthétique du matériau qu’il adapte différente du tout-venant super-héroïque habituel. Dans une ambiance pesante et anxiogène (que n’aurait pas renié David Fincher à ses débuts), Gotham nous est présenté comme un gigantesque trou à rats poisseux dans lequel classes populaires et classes dominantes s’entre-dévoreraient. Cela passe majoritairement par la photographie du film, signée Greig Fraser (Dune, Rogue One), qui offre à la ville du chevalier noir un caché absolument somptueux, où le peu de luminosité qui s’y adjoint devient salutaire face à la noirceur envahissante du film. Le spectateur en fera lui-même les frais lors des rares scènes se déroulant en plein jour : ses yeux, à l’image du personnage principal, étant sans cesse plongés dans l’obscurité, l’apparition soudaine d’une telle lumière s’avèrera éblouissante.


On peut également noter le soin apporté aux décors, et à l’éclairage de ceux-ci. Ici, nulle volonté de placer Batman dans un espace de cinéma « réaliste » comme Christopher Nolan avait pu le faire (contrairement à ce que la promo de Warner laissait sous-entendre) : le cadre est gothique, mais jamais grandiloquent ; sombre, mais jamais imperceptible. Dans un tel environnement (très largement inspiré des jeux Batman de Rocksteady), le Batman de Pattinson (véritable figure dramatique de l’après-tragédie, Bruce ruminant toujours la mort récente de ses parents) peut laisser libre cours à ses postures les plus impressionnantes, toujours soulignées par les notes tonitruantes de la partition de Michael Giacchino.


Matt Reeves lui-même ne sera pas en reste, car non content de s’être entouré de personnes talentueuses pour assurer une expérience esthétique mémorable, le réalisateur des derniers volets de La Planète des Singes accouchera de nombreux plans assez malicieux. Qu’il s’agisse des plans aperçus dans la bande-annonce lors de la course-poursuite entre le Pingouin et Batman, où la caméra semble être scotchée au rétroviseur de la voiture, ou encore lors d’une échappée aérienne de notre rongeur ailé préféré, souhaitant ici nous mettre pratiquement dans la peau de celui-ci. Dans ce film, comme dans ses précédents, Matt Reeves a une certaine propension à s’interdire l’optique d’une « caméra volante », comme si le fait que celle-ci n’ait pas d’appui stable décrédibilisait toute l’action filmée.


Dommage que cette implication de la part de Reeves ne soit cantonnée qu’à un but esthétique, car si le réalisateur accouche d’images somptueuses, cette volonté permanente de vouloir créer des plans accrocheurs pour la rétine atteint vite ses limites. Par exemple, cette scène aperçue dans la bande-annonce de course-poursuite possède, comme dit précédemment, son lot de trouvailles visuelles marquantes. Mais lorsqu’il s’agit de relier celles-ci entre elles par le montage, l’exercice s’avère laborieux. Ainsi, et bien que subjugué par la beauté de ce qui lui sera montré, le spectateur aura bien du mal à situer la voiture du Pingouin comme celle de Batman dans l’espace : l’action se devinera plus qu’elle ne se montrera. La malice ne fait pas tout ; encore faut-il y insuffler une lisibilité.


Ce qui nous amène à l’un des problèmes majeurs de ce The Batman, qui traversera tout le récit : au détriment d’un quelconque signifiant, le long-métrage se révèle effrontément poseur. Poseur dans ses choix de plans (le plan sur la tasse de café arborant un point d’interrogation est assez risible), poseur dans ses dialogues à la fois trop lourds et frôlant le ridicule par moments (big up au « un pingouin, ça a des ailes » de Batou), et poseur également dans l’interprétation de ses acteurs. Robert Pattinson, souhaitant sûrement épouser la forme finalement assez adolescente du film de Reeves, compose un Batman quasi-mutique, semblant plus subir le film que véritablement y participer. La mâchoire serrée et le regard vitreux, voilà ce que nous servira Pattinson pendant près de trois heures, lui qui, si besoin est le rappeler, a donné de brillantes compositions de rôles au cours de sa carrière (pêle-mêle, on peut citer The Lighthouse, Good Time, The Lost City of Z ou encore Cosmopolis).


Et cette gravité couplée à l’impossibilité du réalisateur de faire de l’esthétique autre que pour le plaisir des yeux suffira à rendre le film effroyablement long, laissant entrevoir un ventre mou d’une heure, si ce n’est plus. Car si le plaisir de voir un univers aussi important pour la pop-culture être adapté avec autant de soin apporté à l’image s’avère rafraîchissant au début, le film se heurte rapidement à sa faiblesse thématique. The Batman est envoûtant, mais il n’est jamais (ou trop peu) intéressant. Matt Reeves est un admirable faiseur d’images, pas un auteur. Et lorsqu’il se retrouve à devoir jongler entre de nombreux éléments connus et attendus par les fans, Reeves se contente d’aligner les séquences de manière mécanique. Dans cette optique, la scène de baiser entre Batman et Catwoman est assez parlante : on ne sent, à aucun moment, une quelconque tension sexuelle entre les deux personnages, pourtant la scène de baiser est là, presque par automatisme. Et lorsque Reeves a fini de faire parler son personnage principal en voix off pour nous expliquer à tous ce qu’on avait déjà parfaitement compris, la pauvreté de ce qui nous est raconté ici sautera aux yeux.


Très vite, le film donne la désagréable sensation de sous-traiter les éventuels enjeux ou thématiques qu’il aurait pu générer, lorsqu’il ne les tue pas directement dans l’œuf. On pense, par exemple, à la manière dont le film laissera sous-entendre que Thomas et Martha Wayne n’étaient pas aussi bons que l’on pouvait croire, tout cela pour se rétracter la scène suivante en précisant bien que tout ceci n’était que mensonges. L’ambiguïté n’a visiblement pas sa place dans un long-métrage aussi grand public. A ce titre, il est navrant de constater que ce nouveau Batman, présenté tout du long comme un vigilante violent et sanguinaire (le champ lexical du « monstre » est souvent employé, quand on ne l’appelle pas carrément « vengeance »), s’avère n’être qu’un bonhomme en collants de plus, pas particulièrement plus violent que la version de Michael Keaton. A aucun moment, par ses effets sonores, par ses chorégraphies ou même par sa mise en scène, les combats au corps-à-corps ne sembleront véritablement pernicieux. Entre ce qui est dit et ce qui est fait, il y a une sacrée différence.


Et ce sentiment d’inachevé se laisse deviner également dans la caractérisation des personnages secondaires, tous sous-exploités malgré la durée interminable du long-métrage. Ainsi, on tombe le plus vulgairement du monde possible dans ce que l’on pourrait appeler des « personnages-fonctions » : le Pingouin est un simple homme de main (Colin Farrell dans ses prothèses, aussi gênant que Gary Oldman en Churchill dans Les Heures Sombres), le Riddler est une sorte de Jigsaw du pauvre, Alfred est un ressort scénaristique visiblement bien pratique à utiliser lorsqu’il s’agit de faire passer quelques facilités d’écriture, et Catwoman est une demoiselle en détresse qui a tendance à faire un peu trop rapidement confiance en notre héros.


Alors, forcément, lorsqu’il s’agit de lier entre eux tous ces personnages qui, d’apparence, n’ont rien à faire ensemble, le film patauge assez souvent dans son propre désordre. L’exemple du Pingouin est, par ailleurs, assez parlant, le long-métrage faisant visiblement tout pour que le personnage de Colin Farrell apparaisse le plus à l’écran, quitte à rajouter une course-poursuite totalement artificielle. Nos bons amis Batman et Gordon ont eu l’air fins lorsque le Pingouin leur a annoncé qu’il n’était pas l’homme qu’ils recherchaient, et ce une fois la course-poursuite terminée. Presque aussi fins que lors de leurs petites sessions devinettes avec le Riddler (de sacrés passages où le film frôle le nanar).


Enfin, le dernier acte aura finalement eu raison d’annihiler tout espoir de voir repartir le film de plus bel, après une seconde heure pas loin d’être soporifique. Multipliant les facilités scénaristiques (la moquette…) et les scènes d’action sans grande inspiration, ce plan final lancé par le Riddler est d’autant moins crédible qu’il vient contredire tout l’argumentaire que ce dernier s’échinait à développer (le but n'était pas de s'en prendre uniquement aux puissants ?). Mais bon, heureusement que Batman intervient une nouvelle fois pour sauver les riches, ce serait bête que l’on puisse entrevoir le moindre message à travers ce film.


Alors certes, le film est nettement supérieur à toutes les marvelleries habituelles que l’on a l’habitude de bouffer par dizaine au cours de l’année ; mais il n’en demeure pas moins décevant. Si le long-métrage ne se montre jamais franchement déplaisant, l’absence d’une quelconque vision d’auteur se laisse ressentir au fur et à mesure que The Batman déroule son intrigue de manière bien trop mécanique. Cédant (sûrement) aux exigences du studio, Matt Reeves multiplie les « passages obligés » que présupposerait une telle intrigue sans donner de véritable corps à ses personnages ou à ses thématiques. En résulte une intrigue au goût amer de déjà vu (pas dans l’univers de Batman, certes, mais on reste dans une espèce de sous-Seven comme il en pullulait plein suite à la sortie du film de Fincher) joliment emballé, et qui saura très probablement ravir les fans du personnage. Nul doute que The Batman va être (voire est déjà) un objet de pop-culture important, qui sera cité plus tard comme l’une des œuvres les plus originales produite durant cette bien trop longue ère cinématographique dominée par les super-héros. A terme, et tout à fait personnellement, le film ne parvient ni à me prendre, ni à m’intéresser. Il est beau, et il occupe ; rien de plus, rien de moins.

SwannDemerville
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le 6 mars 2022

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