J'ai toujours une sorte de réticence à parler publiquement d'un blockbuster. Non pas que ça me déplaise, au contraire, mais outre l'impression de surfer sur la vague des tendances, je me dis souvent que c'est du temps où l'on aurait pu parler d'autres œuvres moins connues. Seulement , vu qu'en sortant de ce fameux « Batman », mon ressenti n'était ni au diapason du public ni à celui de la presse, et vu qu'en général, j'aime bien le dissensus, je me suis imaginé (sans doute avec une pointe d'orgueil) que ce ne serait peut-être pas tout à fait vain. Et puis, il faut dire, que ce soit dans l'univers du cinéma, du comics ou du jeu vidéo, je pense avoir un modeste, mais réel petit passé commun avec notre bien-aimé chevalier noir.


Aussi, cette critique est en bonne partie reprise d'un échange avec un ami, navré d'avance, donc, pour son côté « oral » qui déplaira peut-être à certains. Enfin, pour prévenir ceux qui n'aiment pas cela : je vais divulgâcher à balles réelles !


Alors, par où commencer ? Robert Pattinson, peut-être ? Alors que d'ordinaire, je ne le trouve pas mauvais acteur, loin de là, dans ce film, j'ai trouvé son interprétation particulièrement médiocre. Passe encore en Batman (on va dire que son jeu est « rentré », pour ne pas dire plat). mais en Bruce Wayne, c'est la catastrophe. Il m'a fait l'effet d'un vrai « Dark Sasuke », avec son air torturé permanent, ses mèches de cheveux qui lui tombent sur le visage, même sa manière de manger un biscuit, au ralenti, ridicule. Surtout que rien ne vient justifier un tel comportement (on n'a pas vu le massacre de ses parents, comme chez Nolan, et on ne nous suggère pas un passé torturé par des indices visuels, comme chez Snyder).


L'ensemble de sa prestation est très monolithique, il n'y a limite pas de différence d'interprétation entre Batman et Bruce Wayne, là où ça fait généralement partie des plaisirs des films Batman (Christian Bale s'en donnait à cœur joie). Je pense que Pattinson et Matt Reeves avaient trop la pression de passer après Bale et Affleck, et qu'ils ont donc misé sur une sorte de sous-jeu, ça ne paye pas...


Ensuite, les scènes d'action. En général, on les attend au tournant, quand on regarde un Batman. Je pense au braquage de « The Dark Knight », ou à sa course-poursuite à moto, ainsi qu'à l'affrontement Batman/Bane dans « Rises ». Et je ne parle pas des scènes d'Affleck, avec son combat en plan-séquence dans le désert, et le sauvetage de Martha, digne des combats des jeux vidéo Arkham !


Et là, Batman, c'est juste un mec... qui sait donner des coups de poing. Parfois, un petit coup de grappin. Usage de la cape, nada, fumigène, batarangs, autres gadgets, nada, même ses pieds, il ne sait pas s'en servir !


Alors, oui, je vois l'idée : faire un Batman plus « réaliste » (il ne peut pas voler, mais seulement « planer », sa batmobile n'est qu'une voiture un peu plus puissante que la moyenne à laquelle il a ajouté un réacteur) et plus « psychologique ». Sauf que d'une part, bah, j'accroche pas (voir Batman faire des cascades de dingue, ça fait partie des plaisirs de voir un Batman), et que d'autre part, le « réalisme » est complètement démenti par la mise en scène qui en fait des caisses (ses apparitions, où il marche à deux à l'heure avec ses bottes de vingt kilos)


Enfin, si Reeves sait faire quelques plans stylisés, quand il s'agit de les raccorder ensemble pour faire une scène d'action, il n'a aucune maîtrise de l'espace. Je pense à la scène de course-poursuite en Batmobile : c'est bien beau d'accrocher des caméras à tes véhicules pour donner un côté frénétique et immersif, mais l'ensemble est juste chaotique. Faut la comparer à celle de Batman v Superman, c'est le jour et la nuit (j'ai beaucoup de reproches à faire à Batman V Superman, mais en ce qui concerne les scènes d'action de Batman, qu'on n'accroche ou pas, il y au moins une générosité visuelle, et une volonté de lisibilité). Pareil pour les scènes de castagne, usage du décor : zéro.


Et surtout, pour quelle « psychologie »... Ce Batman est complètement stupide. Alors que c'est juste un boxeur un peu aguerri et qu'il est censé davantage se servir de sa tête, à chaque baston, le mec s'amène comme un tocard, sans stratégie, A PIED. La scène où il doit trouver le pingouin, il frappe littéralement à la porte d'entrée, tape sur tout le monde dans la boite de nuit, galère face au premier venu avec une arme à feu, heureusement que le pingouin intervient pour lui sauver la mise ! Pareil, face au mec au collier piégé, il n'assure à aucun moment ses arrières, n'esquisse même pas un réflexe défensif lorsque la bombe lui pète à la tronche (et tout le temps où il est inconscient, on a eu l'opportunité de l'amener au commissariat, mais personne n'a eu l'idée de lui retirer son masque, bien sûr)


Puisqu'on parle de la scène d'attentat, venons-en au super-vilain. Le film se la joue « antagoniste froid avec dix coups d'avance ». Là aussi, que dire ? J'aime beaucoup Paul Dano, mais il suffit de le comparer au méchant de « Seven » (ouvertement revendiqué par Reeves), ou simplement se rappeler le Joker de Nolan (et comparer les scènes d'interrogatoire des deux films, les dialogues des deux méchants face caméra lorsqu'ils torturent des innocents...), pour constater que le « Riddler » n'est qu'un fade décalque de ses prédécesseurs. Surtout que si l'on commence à détricoter le maître-plan de cet antagoniste, on se rend compte qu'il est complètement dépourvu de cohérence. Le gars se la joue anarchiste dénonçant les puissants, et il inonde la ville (c'est bien connu que ceux qui vont le plus galérer à trouver un abri, et qui vivent le plus dans les tréfonds de Gotham, c'est les multimillionnaires). Il réussit tous ses crimes, mais pour Bruce Wayne, il envoie un simple colis. C'était pas du tout prévisible qu'une tierce personne, au hasard, son majordome, l'ouvre à sa place (et ce qui me bute, c'est que le vieil homme, en se prenant l'explosion presque en pleine face, ne meurt même pas ! Woaw, un plan imparable !).


L'un des arguments de vente du film, c'était d'accentuer le côté « détective » de Batman. Mais au bout du compte, son enquête se résume à des énigmes carambar du « Ridler », et à une succession de coups de bol. Le Pingouin se moque même de Batman et Gordon leur donnant la solution tout en les traitant de débiles. Et encore, c'est rien face au policier qui tombe par hasard sur Batman, et lui explique que le « racloir » sert pour la moquette. La mise en scène la joue mystères démentiels, avec des gros points d'interrogation et tout, mais si on met les choses à plat, c'est juste de l’esbroufe.


L'aspect politique, aussi, on pourrait en parler. J'ai beaucoup entendu « ce Batman est résolument politique ». Par contre, quand il s'agit d'expliquer en quoi, en général, il n'y a plus grand monde ! Une multitude de pistes ne sont qu'effleurées. L'élection des maires ? Tertiaire. Le « faut faire payer ces salauds d'hommes blancs privilégiés » (traduction de tête et approximative de la vo) de Catwoman, se posant ainsi comme porte-parole des minorités délaissées ? Moi, je veux bien (ça implique, par exemple, de parler d'immigration, d'ascenseur social bloqué, de développer un rapport entre minorités et pauvreté, puis pauvreté et criminalité), sauf que non : tous les salauds de riches sont en effet des hommes blancs, mais en revanche, il me semble bien que TOUS les criminels sont... des Blancs aussi (sauf celui du début, au visage à moitié maquillé, qui refuse justement de se livrer au crime). On tient un propos clivant, mais on le cantonne à une petite phrase hors-sol pour faire bien dans l'ère du temps. Les minorités, ou les classes populaires, que le film prétend défendre, il ne les traite jamais en tant que telles, ou si superficiellement que pas. Idem pour le climat de peur que Batman fait régner dans Gotham (l'introduction était très réussie d'ailleurs, avec le bat-signal non pas comme signal, mais comme avertissement, menace planant en permanence sur les criminels, et avec les mêmes criminels fantasmant un Batman pouvant se cacher dans le moindre recoin), ce n'est jamais filé, ils n'ont plus jamais peur passé la scène d'intro.


Non, à la vérité, tout comme Dune, pour prendre un autre « blockbuster mature » récent, le film se donne une apparence de profondeur en surjouant la gravité. Mais dès qu'il faut sortir de cette gravité pour étayer un peu son propos, le message (encore une fois, littéralement) du film, c'est « la vie est dure, mais la souffrance nous permet de nous dépasser ». C'est un bête propos sur la résilience vu et revu, du développement personnel de bas étage, soit de l'antipolitique (ce qu'il faut repenser, ce n'est pas le système, c'est soi-même). A un moment, il esquisse un peu d'ambiguïté morale (le père de Batman serait-il un salaud ? Bruce Wayne, lui aussi, ne serait-il finalement pas blanc comme neige ? C'était le genre de proposition que les jeux Teltale avaient su exploiter). Mais que le spectateur se rassure, la rumeur assassine est aussitôt démentie par Alfred (il ne faudrait surtout pas se retrouver en zone trouble !)


Niveau alternatives, de deux choses l'une : soit le film se la joue vraiment politique, et là, on est en droit d'attendre des questionnements comme ceux de « The Dark Knight » (peut-on utiliser une technologie pour espionner l'intégralité de Gotham, si ça permet d'arrêter des criminels ? Peut-on mentir sur la nature d'un homme — Double-face — si ce mensonge assure la paix sociale ?) ou de « The Dark Knight Returns » de Miller (qui pousse le côté fascisant de Batman au-delà du politiquement correct). Soit le film se la joue résilience, et il n'y a pas forcément de mal à cela, mais alors, qu'il le fasse pleinement ! Politiquement, « The Dark Knight Rises » est très faible (et même contre-révolutionnaire dans ce que ça peut avoir de plus bête) et verse également dans le discours de développement personnel. Sauf que c'est du développement personnel qui déchire. Pourquoi ? Parce qu'on a un Batman à la colonne vertébrale brisée, qui se remet sur pied et fait des pompes au fond d'un gouffre. Si tu te la joues résilience, alors explore au moins le côté jouissif que ça peut avoir, éprouve ton héros physiquement, fais-le s'entraîner comme une brute dans sa batvave !


La musique m'a semblé paresseuse ou envahissante, quand ce n'était pas les deux à la fois. Pour le thème principal, le compositeur répète quatre notes assez ternes. Et de manière générale, il abuse de remplissage musical. Je trouve ça typique d'un film qui n'a pas confiance en la puissance de ses images (surtout que la musique n'existe pas non plus pour elle-même, comme ça pouvait être le cas pour celles des récents « Tenet » et « Dune », même si n'aime pas trop ces dernières, je leur reconnais ce mérite). Là encore, on est loin des thèmes de Zimmer (quand Nolan ne choisissait pas plutôt de retirer toute musique pour le duel Bane/Batman, et ce faisant, multipliait la puissance de chaque impact).


Alors, est-ce que tout est à jeter, je n'irai pas jusque-là. Oui, les jeux de lumière sont agréables. Oui, il y a quelques plans sympas : Batman qui traverse à moto la ville bardée d'écrans géants ; qui descend d'un immeuble par grappin, suivi par une caméra qui s'inverse ; qui réunit derrière lui les victimes du « Riddler », les éclairant avec son fumigène rouge, dans un beau plan zénithal montrant qu'il assume sa responsabilité de guide dans les ténèbres ; qui se bat en un plan fixe et dans le noir complet, uniquement illuminé par les tirs de ses adversaires ; enfin, Batman s'avançant lentement vers le Pingouin, immobilisé dans sa voiture retournée (même si j'aurais préféré qu'on se cantonne au point de vue impuissant de celui-ci, dans un plan qui ose durer plus de 3 secondes ; là, le réalisateur se sent obligé d'entrecouper de contre-champs pour nous montrer les réactions horrifiés du méchant, comme par crainte que le spectateur ne parvienne à se les figurer lui-même...)


Oui, il y a quelques idées originales aussi. Je pense au début de tension amoureuse, lorsque Batman se penche vers Catwoman, comme pour l'embrasser, mais vérifie en fait si ses lentilles sont mises correctement. A l'ambivalence quant au fait de savoir si le « Riddler » connait ou non l'identité de Batman, répétant en boucle « Bruce Wayne » au début de leur rencontre, mais ne paraissant finalement que regretter que le Prince de Gotham ait survécu à son attentat, sans faire de lien avec le justicier. A l'attentat en question, justement, filmé au passé, entrecoupé de coups de téléphone dont nous ne comprendrons qu'ensuite qu'il sonne trop tard.


Dans l'ensemble, il y a plus de personnalité que dans n'importe quel Marvel générique, c'est admis. Toutefois, le film, en lui-même, constitue une proposition artistique fainéante, tentant de manger à plusieurs râteliers, m'ayant laissé complètement sur ma faim. Pour rester dans les films grand spectacle, si je veux un film de mafieux et empreint de mélancolie, je vais voir « Il était une fois en Amérique », si je veux voir un thriller psychologique avec un antagoniste implacable, je vais voir « Seven » ou « Le silence des agneaux », et si je veux voir un Batman sombre et mature, je vais voir « The Dark Knight » ou « The Dark Knight Returns ». Et tant qu'à faire, quitte à conseiller des films, je pense que ce vidéaste le fera mieux que moi : https://www.youtube.com/watch?v=SgQUJNXgDME ; https://www.youtube.com/watch?v=dMCG8vOWA5E. Mais en ce qui concerne « The Batman », au bout du compte, sous le vernis de sérieux, je pense qu'on a presque affaire à un nanar de luxe.


Évidemment, tout ce que je viens d'écrire n'est que mon avis, tient un peu du coup de gueule auto-complaisant. Je me fais plaisir, en assénant peut-être parfois les choses au lieu de les développer comme il se devrait. Aussi, si vous voulez me contredire, n'hésitez pas : c'est avec plaisir que j'échangerai plus posément avec vous dans les commentaires !

GilliattleMalin
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le 5 mars 2022

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GilliattleMalin

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