L’absurdité que travaille Terrible Jungle est d’autant plus délectable qu’elle n’est pas gratuite, mais engagée dans un processus de démolition d’un regard jusqu’alors intouchable : celui de l’anthropologie structurale à la Claude Lévi-Strauss ici radicalisée et parodiée. Le personnage qu’interprète Catherine Deneuve semble ainsi incarner cette vieille école de pensée qui justifie les exactions qu’il commet à l’encontre des populations étudiées au seul nom de la science, de la compréhension de l’autre et de la rencontre avec une humanité aussi singulière que pourvue de propriétés communes.


De la même manière qu’Eli Roth s’amusait avec The Green Inferno à détruire les lanceurs d’alertes écologistes dont les théories manichéennes venaient se heurter à un cannibalisme originel – un cannibalisme similaire aux stratégies médiatiques défendues par la tête pensante du groupe activiste –, Hugo Benamozig et David Caviglioli cultivent d’entrée de jeu une stéréotypie de la jungle comme incultum et espace de fascination pour l’explorateur afin de mieux orchestrer un retournement complet de la situation, les Indiens s’étant occidentalisés sous l’effet de la colonisation (rappelée par photographies interposées lors du générique de début) et de la mondialisation galopante. Un tel « dépaysement », traité ici sur un mode comique, n’est pas sans évoquer des adaptations quant à elles bien réelles, à l’instar des tribus indiennes d’Amérique contraintes de distribuer des souvenirs aux touristes étrangers, de travailler dans les casinos, de vivre dans des conditions sanitaires et sociales on ne peut plus précaires et dégradantes.


La jungle se mue en laboratoire où se décantent joyeusement les tragédies contemporaines, de la pollution à l’exposition des indigènes aux drogues – héroïne, alcool, télévision, nourriture industrielle – qui continuent aujourd’hui de décimer les populations les plus pauvres. Et le récit familial qui structure le long métrage sert à appuyer ce divorce entre deux âges : l’adulte représentant du désastre contemporain, le jeune tenté de recouvrer un rapport simplifié au monde ; deux âges enfermés dans leur idéologie et leurs chimères ; deux âges que même un traceur (comprenons, l’anthropologie structurale) ne réussit pas à rassembler.


Film critique et cynique, Terrible Jungle n’oublie pourtant jamais d’être drôle, et il l’est, terriblement ! Avec une mention spéciale à Jonathan Cohen, hilarant en lieutenant-colonel « obsédé par ses orifices » (selon les mots de Chantal de Bellarbre). Une comédie de grande qualité.

Fêtons_le_cinéma
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le 30 août 2020

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