"Ce n'est pas parce que tu parles que tu es intelligent." Qui-Gon Jinn

Ce billet ne va pas être long (à l'inverse du film). Chroniquer le dernier blockbuster dont je ne pense pas du bien est une activité qui m'intéresse de moins en moins, mais je pense que "Tenet" est assez représentatif de la confusion qui existe parfois encore entre "divertissement compliqué" et "divertissement intelligent".
Inutile d'entrer dans le spoil, je ne m'appuierai que sur des éléments d'intrigue dévoilés par le trailer et je resterai vague sur le reste ou bien je l'évoquerai de façon assez floue pour ne rien révéler.


En sortant de la séance, une très bonne amie m'a fait une réflexion qui pourrait résumer le principal problème de "Tenet" et l'aveu d'échec de Nolan qui résonne en lui : " "Tenet" c'est un peu "l'anti-Inception". Dans "Inception", on te donne rapidement les clés et tu dois comprendre le reste du film à partir d'elles. Dans "Tenet", on te donne des nouvelles clés tout du long, sans jamais te laisser le temps de te poser et de réellement comprendre."
Et ne pas "comprendre" un film, ça n'a rien de grave. Si je faisais un parallèle un peu grossier avec les films de David Lynch, je dirais que beaucoup ne sont pas compréhensibles dans leur totalité mais que le réalisateur ne cherche pas cette compréhension, bien plus intéressé par l'ouverture de nouvelles pistes esthétiques faisant appel à l'inconscient, à l'onirisme, marquantes en profondeur pour le spectateur. Nolan, lui, développe toujours cette imagerie froide et cérébrale, ces dialogues d'un premier degré confondant. Il s'amuse à distiller à grands coups d'insert des petits détails comme autant de clins d'oeil au spectateur, le flattant et le récompensant pour sa capacité à piger ce qui se déroule sous ses yeux. L'injonction du personnage de Clémence Poésy à "ne pas comprendre mais ressentir", probablement placée dans la bouche du personnage par Nolan lui-même, sonne donc comme un double discours hypocrite vis-à-vis de sa propre oeuvre.
Deux problèmes en découlent : un, la compréhension littérale d'une oeuvre comme raison d'être de celle-ci, ça ne me satisfait pas. Deux, dans le cas de "Tenet", le film use tellement de son concept phare (la fameuse "inversion") sans jamais en définir l'essence qu'il est, de fait, incompréhensible et donc extrêmement frustrant.
Mais comme il faut toujours soutenir jusqu'au bout son projet de film bancal, Nolan donne en plus dans des tentatives d'ultra-rationalisation assez ridicules, assénées au spectateur par des dialogues qui n'auraient pas dépareillé dans une parodie des Inconnus ou de Kad et Olivier, du type : "Inversion ? Mais alors, si ce qui devait se passer ne s'est pas passé, je peux encore le poursuivre et faire l'échange de colis sans que son lui du futur ne parvienne à mettre la main sur...". Et de manière générale, aucun dialogue ne sonne vrai. La galerie de personnages de "Tenet" ressemble à une bande de PNJ, chacun assigné à un rôle : le héros, le partenaire, le débrouillard, celle qui explique, la femme à sauver, le méchant, le militaire, la femme mystérieuse.
Toute l'authenticité qu'on aurait pu attendre de l'oeuvre est gangrénée par ce concept dont Nolan perd au fur et à mesure le contrôle et qui dévore chaque once d'émotion potentielle.


Avec "Tenet", Christopher Nolan confond tout. Il confond dialogues fonctionnels et faussement mystérieux avec dialogues pertinents, plans séquence confus avec virtuosité et surtout, vitesse avec rythme. Le film ne laisse pas une seconde de répit au spectateur qui doit brutalement se réfugier dans son intellect toutes les 10 minutes sans jamais avoir le temps de souffler, de contempler, de ressentir. Tout va trop vite et paradoxalement, le film dure 2h30, devenant assommant. Aussi assommant que la musique, pompière et inexplicablement forte, aussi fine qu'un rouleau compresseur. Une sorte de version Leader Price, de Hans Zimmer, en somme.


Avec "Tenet", Nolan ne révolutionne rien. Débarrassé des artifices de son concept, le film dévoile une histoire archi-classique de sauvetage du monde d'un méchant tout ce qu'il y a de plus cliché, un scénario souvent incohérent et bancal et toutes les idioties classiques que l'on retrouve dans le Blockbuster hollywoodien moyen.


Comment puis-je donc attribuer la moyenne à ce film ? Justement parce que "Tenet" est un film moyen. Il se débat de toute ses forces pour être autre chose, abat carte après carte, accentue les clins d'oeil, les effets de mise en scène, les noeuds scénaristiques. Mais il reste moyen.
On reconnaîtra volontiers à Nolan son talent pour faire des plans impressionnants qui, au service d'une autre histoire prendraient tout leur sens. Le duo Washington/Pattinson fonctionne agréablement bien quand ils n'échangent pas des banalités pseudo-profondes et, si le rôle d'Elizabeth Debicki n'est pas à la hauteur de son talent, c'est toujours un plaisir de revoir cette actrice qui m'avait donné une si grosse claque dans "Les Veuves" de McQueen.


Après la déception qu'avait déjà constitué pour moi "Dunkerque", je commence à douter de la capacité de Nolan à simplement raconter une histoire. Une histoire simple, brute, allégée de toute cette prétention épuisante. Une histoire intelligente.

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le 31 août 2020

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Mr_Step

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