Les lumières de la ville se reflètent sur mon taxi en cette nuit pluvieuse. Autour de moi et mon véhicule, gravite toute cette population grouillant dans la mégapole ; parmi toute cette faune, se trouvent plusieurs personnes, qui vont me demander de les déposer en échange de quelques maigres dollars vers un autre endroit, un autre quartier de cette crasseuse ville. Ils me demanderaient de les déposer dans une autre ville, ça serait du pareil au même… Prostitués, camés, clodos, paumés, insomniaques, hippies, on retrouverait tout cela dans n’importe quelle ville…


Chauffeur de taxi, c’est le seul métier que j’ai trouvé pour survivre. Pourquoi ? Déjà, insomniaque, ça aide, personne veut faire ce job de merde, et surtout pas la nuit. Cette ville craint la nuit. Elle est jolie la nuit, avec toutes ces lumières, mais elle est moche. Et tous ces drogués, ces fous, ces barjots, ces dingues… Des gens qu’on voit que dès la tombée de la nuit, comme les vieux films de vampires projetés dans un de ces cinémas miteux de la 42ème Rue. Malheureusement, quand ils font encore plus le barjo dans mon taxi ou qu’ils veulent pas payer, le crucifix ou l’ail marchent pas face à ces gens… Un jour, il faudrait une bonne pluie divine pour se débarasser de toute cette merde.
Et puis, pourquoi ce boulot… Parce que je sais faire que ça. Et c’est le seul endroit où l’on veut bien de moi. On cherchait quelqu’un, j’ai vu une annonce sur le journal, je me suis présenté. J’ai commencé le soir même. Je voulais bien traîner dans les quartiers craignos, aucun problème, j’ai dit. De toute façon, à quoi bon… Il peut rien m’arriver de pire, j’ai déjà connu l’enfer. J’ai fait le Viet-Nam, dans les marines. On m’a dit : vas-y, on recrute, c’est la guerre, tu vas apprendre un métier. J’ai appris à survivre. En enfer. Et je sais plus qui a gagné. Ou perdu.
Depuis la fin de ce marasme dans les rizières du Sud-est asiatique, quand je suis pas au taf, je déambule dans les sombres recoins de cette ville, trimballant mon insomnie chronique et mon ennui, ma solitude et ma putain d’envie de crever. Alors que j’arrive pas à faire interrompre mes démons intérieurs par quelques minutes de sommeil, cette ville, non plus, dort jamais : il se passe toujours quelque chose, ici un camé poignardé pour quelques grammes de coke, là un clodo dépouillé de ses maigres dollars, plus loin un pervers un peu trop excité jeté par un videur d’un cinéma porno.
Le pétage de plomb n’est jamais trop loin… Ou alors, c’est chez mes clients qu’il se développe. L’autre jour, un client, à destination de la course, me demande de laisser tourner le compteur ; il m’expliquait calmement que sa femme était là-haut, en me désignant le troisième étage d’un hôtel miteux, avec un autre homme, qu’il le sait depuis plusieurs semaines et qu’il allait les buter tous les deux puis sûrement retourner l’arme contre lui. Puis il a payé et s’est barré… J’ai fait pareil, aussi sec. Que s’est-il passé ? J’en sais rien, et je m’en fous… Peut-être qu’il s’est fait buter…
L’autre jour, j’avais un maigre espoir de sortir de la mouise ; j’ai rencontré par hasard l’assistante d’un sénateur, qui est candidat à la présidentielle, je crois. Je lui ai proposé un rendez-vous, on a mangé un morceau, et puis on est allé à un des cinémas de la 42ème Rue. Vu que j’ai déjà vu des couples aller voir des films porno, je pensais que ce serait une bonne idée ; pas de bol, elle se tire, dégoûté, au bout de deux minutes… J’ai eu beau la retenir, lui proposer de voir un autre film, rien à faire… Plus tard, dans la semaine, à son lieu de travail, impossible de la voir, elle a dit à ses collègues que j’étais taré, que j’allais la harceler… Si j’avais eu une arme, j’aurai buté son collègue qui me regarda comme si j’étais fou…
Ouais, fou… Je pourrai le devenir ; être fou, comme toute cette population, toute cette merde qui se trémousse dans cette putain de ville, toute cette violence, ce vice, cette perversion ; si j’achetais une arme au marché noir, je pourrai faire un carnage, purifier New York de tous ces excréments humains… Je pourrai même tuer ce sénateur, là, qui est candidat ; c’est à cause de merdes comme lui que j’en suis arrivé là, que je ne suis qu’une merde dans cette société malade. Je me suis battu, j’ai porté les couleurs de mon pays loin de chez moi, et voilà ce que je gagne en retour !
J’aimerai tellement devenir quelqu’un, faire quelque chose, de positif ou négatif… Tiens, cette gamine, là… Je pourrai peut-être l’aider ; c’est une prostituée comme plein d’autres, mais elle est tellement jeune, trop pour ce trou à rats géant… Elle devrait encore faire des études. Je me demande si ses parents la cherchent encore, ou ont renoncé. En tous cas, on s’est rencontrés, on a sympathisé, elle me trouve bizarre, mais elle doit rencontrer tellement de mecs louches.
Les lumières de la ville se reflètent sur mon taxi en cette nuit pluvieuse. Autour de moi et mon véhicule, gravite toute une population inutile, malsaine, hideuse ; et moi, dans mon taxi, je vais faire enfin quelque chose, peut-être une connerie, je vais peut-être mourir ce soir, qu’importe… Je suis peut-être même déjà mort, et je suis en enfer, au milieu de tous ces cloportes ; ou alors, je vais devenir un héros, la gamine va reprendre ses études, ses parents sortiront de leur tristesse lorsqu’ils la reverront, et moi, je reverrai peut-être l’assistante du sénateur… Qui sait ? En tous cas, je vais devenir quelqu’un.
HuriotDavid
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le 11 mai 2017

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David Huriot

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