La prostituée et le Chauffeur de Taxi. La Scorsese

"All the animals come out at night - whores, skunk pussies, buggers, queens, fairies, dopers, junkies, sick, venal. Someday a real rain will come and wash all this scum off the streets. "

C'est par ce monologue en voix off que démarre la première virée nocturne de Travis au volant de son taxi, le décor est posé, exit le New York enchanteur de Woody Allen sous fond de Rhapsody in Blue. Place au sordide, aux rues crasseuses, aux pestiférés qui errent au sein de cette ville qui ne dort jamais. Ce qui est assez paradoxal cependant, c'est de filmer cette souillure et de la magnifier, le rendu est absolument somptueux, Scorsese se régale et ça sent. Les angles de caméras, les plans, la lumière, l’ingéniosité d'utiliser le reflet des rétroviseurs, l'ensemble est tout bonnement hypnotique, de quoi jubiler en songeant à notre place privilégiée de passager se laissant balader dans les lieux les plus les plus lugubres.

Cependant Taxi Driver ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui 38 ans plus tard si on parlait seulement de trajets interminables, l'hymne du récit, ce sont ses personnages. Travis d'abord, l'un des hommes les plus fascinants rencontré au cinéma. La solitude dans toute son horreur, insomniaque, malheureux, piégé dans cet appartement miteux et sans saveur qui se cherche un but, une raison de poursuivre cette mascarade qu'est la vie et sortir enfin de cet état végétatif. Et ce n'est pas un collègue qui lui proposera un bout d'une baignoire appartenu à la légende Errol Flynn ( toujours une bonne excuse pour le mentionner ) ou les différents clients qu'il côtoiera qui changeront la donne. En préambule, c'est surtout la rencontre hasardeuse, ( enveloppée dans une bonne dose de stalkage ) avec une figure angélique assistante de Sénateur qui laissera échapper un filet de lumière bien éphémère. Parce que Travis, je vous le disais plus haut est depuis un moment totalement déconnecté de la société, de ses us et coutumes et pense qu'emmener sa dulcinée voir un film pornographique lors d'un premier rendez vous est une idée lumineuse. Cette séquence qui aurait pu s'avérer particulièrement malsaine obtient l'effet contraire, l'empathie ressentie pour un Travis décontenancé face à cet échec s'amplifie davantage. Et pour tout ça il est temps de saluer la prestation d'un De Niro fraichement oscarisé absolument magistral ici, qui a préparé son rôle avec une telle minutie qu'il a réellement travaillé en tant que chauffeur de Taxi durant plus d'un mois. Sa gestuelle, sa démarche, son regard, rien n'a été laissé au hasard pour donner de la profondeur à un personnage bien plus complexe qu'il n'y parait. Quand la caméra de Scorsese se pose sur lui, le temps s'arrête et on contemple, en résulte ce monologue cultissime intimidant à souhait, improvisé devant la glace, imité 100 fois mais jamais égalé depuis.

Comme pour signifier un tournant après cette étincelle de lumière définitivement éteinte, le récit déjà peu réjouissant sombre dans la noirceur la plus totale, obsession malsaine des armes à feux, prostituées juvéniles, nuit omniprésente, tout est de plus en plus crade. Il y a Jodie Foster insolente et pleine d'assurance du haut de ses douze ans qui ne semble pas intimidée par la présence du monstre en devenir, Bob pour les intimes ou par la difficulté d'un tel rôle à assumer. Il y a Harvey Keitel dégueulasse comme il faut en proxénète de bas étage avec sa chevelure grasse et ses infâmes Marcel, le tableau de plus en plus obscure se dessine et laisse planer moult possibilités, le tout baigné par les envoutantes partitions du regretté Bernard Herrmann qui n'aura pas eu la chance d'assister au résultat final.

Bon sang de bois, découvrir de grands classiques au cinéma, ça reste quoi qu'on en dise un moment absolument unique. J'ai vécu il y a quelques mois la fresque épique de Cimino de façon presque sensorielle, j'ai vu Jimmy pour la première fois sur grand écran dans le chef d'oeuvre de Ford, Liberty Valance qui m'a donné encore plus de frissons. Et hier soir, j'ai réellement eu l'impression d'être plongé dans le taxi le plus célèbre du monde pour le meilleur et pour le pire, surtout pour le meilleur en fait, merci Martin.

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le 15 oct. 2014

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