Wang Bing fait du cinéma non pas un élément de son existence, mais son existence même. Pour tourner ce nouveau projet, dans une zone plus ou moins enclavée et en guerre , il se met personnellement en danger, comme s'il ne pouvait pas faire autrement. Vers la fin du film, on entend , comme il a dû les entendre dix fois plus fortement, les coups de canon et les coups de fusil qui encerclent aussi bien les protagonistes que Wang Bing et son équipe eux-mêmes, le signe de la radicalité intacte, voire grandissante, de la démarche du cinéaste.


Se déplaçant cette fois-ci vers la Birmanie, ou plus exactement sur une frontière floue entre ce pays et le sien, il livre un film peut-être un peu plus étouffé par les contraintes de tournage (beaucoup de scènes de nuit, pour ne pas être repérés par les militaires, scènes manquantes, car confisquées après que des jeunes rencontrés au détour du tournage l'ont dénoncé aux autorités), plus court aussi du coup, même s'il dure encore 2h30.


Egal à lui-même, Wang Bing laisse sa caméra tourner, mais là aussi, le sentiment de danger, peut-être d'appel au secours de la part des femmes et enfants qu'il suit dans ce projet font que pour la première fois, on sent une légère interaction entre la caméra et les protagonistes : des regards dirigés vers la caméra, ou des phrases adressées à Wang Bing lui-même.


Pour autant, on retrouve intacte la portion d'humanité qui habite ses films. Suite à la guerre qui fait rage pour des raisons qui ne sont pas explicitées par le cinéaste, car ce n'est manifestement pas le propos, cette petite ethnie, les Ta'ang, ayant sa langue propre, mais triturée entre Chine, Birmanie et Thaïlande, se retrouve chassée de ses propres terres pour se tasser dans des camps de fortune plus que rudimentaires, sans présence visible d'organisations humanitaires. Les hommes sont rares, pris dans les combats ou au contraire assurant la garde des maigres possessions.


Le film suit alors la progression de ces femmes et des innombrables enfants en bas âge qui virevoltent autour d'elles. Alors que dans Les trois soeurs du Yunnan , les enfants étaient au centre du discours du cinéaste, ici, ils sont autour des mères, tels une véritable couronne de vie. Tout au long du métrage, évidemment sans aucun support musical comme à son habitude, ce sont les enfants qui font la bande-son : des pleurs, des jeux, des rires, des petites histoires qu'ils se racontent entre eux, c'est le véritable moteur émotionnel de ce film. A l'image, on finit par ne plus voir qu'eux, n'observer qu'eux, en guettant la moindre de leurs actions, tel bambin de 5 ans qui essaie "d'ajuster" sur son dos tel autre nourrisson pour le porter, telle petite fille haute comme trois pommes ou plus exactement haute comme le récipient avec lequel elle va puiser de l'eau dans le réservoir. Un vrai crève-coeur, en même temps qu'une lumière portée sur la condition humaine....


Le cinéma viscéral de Wang Bing ne cessera de nous interpeller, tant son dépouillement touche au plus profond de nos craintes : l'abandon, quand on voit comme ici des petits groupes se détacher de l'ensemble pour un misérable abri de fortune, ou encore dans une version très individualisée, avec Les trois Soeurs du Yunnan, à peine 15 ans à elle trois, laissées à la dérive par leurs parents, et avec les internés de l'hôpital psychiatrique fermé de A la folie, oubliés à la fois par leur propre famille, mais surtout par l'Etat et la société. Une thématique lancinante qui rappelle à chaque mortel son extrême solitude.

Bea_Dls
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le 17 nov. 2016

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Bea Dls

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