Suzanne "t'emmène écouter les sirènes"

C’est à la suite de trois court-métrage que Katell Quillévéré sort en 2010 «Un poison violent» lauréat du prix Gino. En mai 2013, elle présente à Cannes (sélection de la quinzaine des réalisateur) son nouveau film, «Suzanne». 


C’est dans une famille modeste de province que celle-ci choisit de planter le décor de ce second long-métrage. Sublimement interprété par Sara Forestier (à qui l’on doit le rôle de Lydia dans «l’Esquive» d’Abdellatif Kechiche ), Suzanne et Maria (Adèle Heanel) vivent une enfance simple et heureuse, en dépit de l’absence de leur mère. Nicolaï, le père chauffeur routier, mi-présent mi-absent, s’attache à éduquer ses filles jusqu’a laisser sa vie personnelle entre parenthèse. Un jeu subtil mené avec talent par un François Damiens, s’imposant ici comme un acteur «caméléon».
La relation fusionnelle qu’entretiennent les deux soeurs nous parvient très vite. Dans ce rapport, c’est paradoxalement Suzanne qui apparait comme la protégée et Maria comme la protectrice, présageant la fragilité et l’insouciance de Suzanne. 
Après une enfance vite écoulée, la vie frappe à la porte. Suzanne est en terminale lorsqu’elle tombe enceinte. On ne voit ni l’instant où elle l’apprend, ni celui ou elle prend sa décision; celui de garder son bébé. On subit son choix, elle nous l’impose comme elle l’impose aux autres et notamment à son père. 
Mi-femme, mi-enfant, marchant de lieu en lieu Charlie sous le bras au grès de ses envies, de ses désirs, des ses choix (souvent durs et secs), à la recherche perpétuelle d’un re-nouveau.
Les élipses «franches» apparaissent, mis à part un choix narratif original, comme une invitation à ne jamais s’ennuyer, à ne jamais tomber dans un quotidien lourd et désagréable. La durée et l’intensité de ces plans noirs est ce qui crées l’attente, les surprises. Forçé alors de se propulser dans l’histoire, de rester actif on se retrouve face à une propagation d’émotions et de questions quant au vide à remplir : Oû est t-on ? Combien d’années se sont écouler ? Quels personnages allons nous retrouver ? Est-ce la fin ? Faisant appel à notre imagination et notre vécu, une part de nous s’implique personnellement. 
Ce film «de liens» nous emmène ensuite dans une histoire d’amour, une histoire où se mêle passion et violence dont Suzanne (d’une rare intensité) et Julien, voyou à la sauvette sont les seuls personnages (on retrouve Paul Hamy dans le rôle de Julien, récemment vu dans «Elle s’en va»). D’un coup d’un seul, cette histoire la rattrape. Elle se met à courir comme pour nous perdre et échapper aux regards posés sur elle. Sans jamais pouvoir la qualifier de mauvaise soeur, mauvaise fille, mauvaise mère, c’est (seulement) avec un pincement au coeur qu’ on la laisse «s’éclipser» puis, on attend. Attendre d’accord mais ensuite ? S’ensuit la vie comme elle est : prison, abandon, pardon, naissance, trahison, accident , jusqu’a ce que (enfin) elle reprenne conscience d’elle même et redevienne qui elle est : Suzanne. 
Ce film sur la résilience s’achève lorsque tout (véritablement) commence, le dernier visage étant celui de Charlie., résonne comme un écho au refrain de la chanson de Léonard Cohen : 


«Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n'as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une blessure étrange dans ton coeur». 

Ce film bourré d’audace impose ,dans un cinéma se disant trop «masculin», deux grands rôles féminins servis avec talent par deux comédiennes magistrales qui nous font naviguer d’émotions en émotions, entre les merveilles et les horreurs qu’offre la vie. 


AglaéDujardin
9
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le 13 mai 2015

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Aglaé Dujardin

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