Réhabilitation de films, partie 3: Frôler le navet superbe, n'en retirer que le superbe.

Je n'ai vraiment aucune excuse pour avoir vu ce film, la première fois.
2011. J'avais alors 15 ans et sortais d'une matinée éprouvante de lycéen (quatre heures de cours bien compactes). N'ayant pas cours l'après-midi, un peu de monnaie en poche, et surtout, le cinéma se situant à environ 50 mètres du lycée, deux de mes amis et moi même décidons qu' "aller voir un film sera sans doute la meilleure façon de digérer notre McDo".
Et là, éclat de beaufitude. Une affiche atroce, des filles en petite tenue, un titre racoleur comme pas permis un GROS ROBOT en arrière plan. Ce sera ce film ! Au pire, on contemplera les demoiselles et on rira sur le vide probablement abyssal d'un quelconque scénar.
Ô beaufitude salutaire ! Je cris ton nom !
Je suis ressorti de la séance complètement retourné. J'avais eu tellement plus qu'un navet à base de boobs...ça me semblait même carrément méta à l'époque.
Par honnêteté intellectuelle, je me suis revu récemment cet OVNI signé Snyder, m'attendant à une déception. Eh ben non, toujours pas. Alors certes, je n'ai pas eu l'impression d'avoir vu le film de ma vie, mais bon sang ce que c'était jouissif et pas con du tout !
J'ai longtemps hésité entre 6 et 7 pour ce film, et ce sera 7. C'est maladroit, souvent pas bien joué, le rythme est bâtard, mais ce point en plus, il vient des tripes, d'une expérience sensorielle qui compense ces défauts.


Alors qu'en est-il de l'histoire ?
Dans les années 1960, une jeune femme est placée en asile psychiatrique par son enfoiré de beau père après avoir tué sa sœur par accident en tentant de flinguer le salaud. Le bon gros connard s'arrange avec un médecin véreux (en la personne d'Oscar Isaac...je t'aime Oscar) pour lobotomiser la petite afin qu'elle ne puisse pas parler de l'héritage que sa défunte compagne réservait à ses filles. Et on sait bien qu'à l'époque, les lobotomies = décès.
A partir de là, l'héroïne se créé un monde imaginaire dans laquelle elle et les autres patientes de l'hôpital sont danseuses/prostituées dans un cabaret/bordel dont elles vont tenter de s'échapper ensemble.
Alors là, on se dit déjà: "Waaaaah que c'est barré !"
Mais on arrive au troisième niveau: A l'intérieur même de cette réalité alternative, Babydoll (le surnom de l'héroïne) et ses amies/complices se projettent dans des mondes fantastiques, où leurs quêtes sont une métaphore (pas bien fine) des tâches qu'elles ont à accomplir pour s'échapper du cabaret qui est en fait l'hôpital. Vous suivez? Moi non plus, pas tout, surtout pas au premier visionnage.


Faut dire que c'est la première fois que Snyder bosse sur un scénar original. Exit les adaptations de comics ("300", "Watchmen") ou les remakes ("L'armée des morts"). Du coup, le monsieur s'en donne à cœur joie niveau complexité et symbolisme.
Est-ce que le rythme et la cohérence de l'oeuvre en pâtissent ? Oui, c'est les majeurs défauts du film.
Est-ce que le fait que Snyder soit seul aux commandes réduit "Sucker Punch" à un simple délire de geek over-compliqué pour se donner des airs ? Pas du tout. Le résultat est saisissant,


Déjà, il y a cette scène où l'héroïne affronte des sortes de samouraïs/soldats/robots géants (parce que c'est comme ça.) dans un paysage enneigé, dans le troisième niveau de réalité. Le tout sur une musique de Bjork.
Putain...que c'est beau. Snyder a ce talent pour filmer organiquement les corps en mouvement (comme je l'avais déjà dit dans ma critique de "Batman V Superman") alors que les décors et les ennemis regorgent de CGI. C'est prenant, épique, totalement abusé et justifié. Bah oui, on est dans l'imaginaire, tout est possible.
Et c'est là que le film fait fort. Si le délire visuel de "300" m'avait plutôt plu au début, le faible propos qu'il servait avait fini par me sortir progressivement du film (que je trouve sympa, quand même). Là, Snyder va jusqu'au bout de son délire sans aucun complexe (entre la bataille contre les soldats allemands steampunks, le dragon, les robots dans un train...) puisque le scénario, loin d'être con, le permet.
Malgré le jeu approximatif du casting féminin, on sent que Snyder a beaucoup d'affection pour ses personnages, comme s'il se retrouvait dans cette jeune fille prête à s'évader par tous les moyens, et à l'imaginaire sur-développé. Le film sent bon la passion du réal pendant tout le long, son implication, ses maladresses. Et ça fait vraiment du bien dans un blockbuster de ce calibre.
J'ai toujours eu beaucoup d'affection pour Snyder, même si certaines de ses manies m'énervent vite (l'image saturée, les ralentis à tout prix, le caractère assez hermétique de son univers, comme s'il ne nous offrait que des fresques à contempler). Et si "Sucker Punch" n'est assurément pas le meilleur film de Snyder, c'est de loin mon préféré, de par la générosité dingue qu'il dégage.
Objectivement, "Watchmen" est un bien meilleur film. Oui. Mais il me touche aussi beaucoup moins.


Et puis il y a cette BO... Toutes les musiques sont des covers ou des remix de chansons existantes ("Where is my mind", "Sweet Dreams", "Tomorriw never knows"...). Et si une cover ou deux sont un peu creuses, la plupart servent l'action de la plus belle des manières. Par exemple, la cover de "Tomorrow Never Knows" des Beatles pendant la première scène de danse...bon, la cover est pas exceptionnelle (d'un côté, ça m'aurait fait mal d'entendre une originale des Beatles dans ce contexte) mais ça colle super bien à la situation, ça nous envoûte comme les personnages sont envoûtés par Babydoll (à noter que les scènes de danse sont toujours ellipsées, jamais explicitées, comme si tout le monde sauf le spectateur savait en quoi Babydoll est exceptionnelle. Et cette frustration marche super bien.)
En plus badass, l'attaque d'un château médiéval en hélicoptère sur "Search and Destroy"...j'achète ! Le remix rap de "I want it all" de Queen qui accompagne l'arrivée en slow-motion du maire dans le cabaret reste sans doute l'apothéose de ce grand délire sonore.


Sinon, que dire d'autre... C'est hyper maladroit, mal rythmé, souvent amené avec des gants de boxe, mais bon sang que cette histoire est touchante, glauque et intelligente. Oscar Isaac est super dans son rôle de médiocre lubrique et sadique (il est toujours super, donc...).


En conclusion, je suis vraiment pas objectif à propos de ce film. J'ai été touché par l'histoire, les scènes d'action hallucinées et démentielles m'ont toutes prise aux tripes, la musique m'a scotché...
Il a plein de défauts. Comme je l'ai déjà dit, Snyder peine à donner un rythme cohérent à l'ensemble, la direction d'acteurs est pas terrible, les symboliques sont loin d'être subtiles.
Mais voilà, "Sucker Punch" est un OVNI. Je préfère cent fois des films de ce genre qu'un énième blockbuster considéré comme "efficace", mieux rythmé, mieux joué, mais cousu de fil blanc. Je préfère "Sucker Punch" à un bon divertissement.
"Sucker Punch" est plus qu'un bon divertissement.
En fait, je ne sais toujours pas ce que c'est vraiment... Je sais que j'ai aimé.

Créée

le 1 juin 2016

Critique lue 359 fois

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Mr_Step

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