Dans une Amérique profonde laissée aux abois, Stupid Things nous montre le doux portrait mélancolique d’un jeune adolescent (Day-Day) en pleine construction. Suivant le pas d’Harmony Korine ou même d’Andrea Arnold, Amman Abbasi décrit avec délicatesse et une certaine urgence un récit initiatique magnifié par une mise en scène naturaliste de toute beauté.


L’Amérique sous Trump voit de plus en plus de films s’interroger sur cette population des bas quartiers ou ce microcosme des oubliés par le biais de cette jeunesse qui se questionne et qui tente par-dessus tout, de trouver une place au soleil. Dernièrement, American Honey d’Andrea Arnold ou même Moonlight de Barry Jenkins ont montré la voie et sont devenus en quelque sorte les étendards de ce cinéma indie américain qui vogue à travers les ruelles abandonnées pour zoomer de plus près sur des âmes en peine qui ne demandent qu’à être écoutées. Dayveon vit dans un monde claustrophobe, vide, encadré par le cadre 4: 3 du réalisateur où les maisons sont petites, les pièces compactes et les routes serrées. Des habitations un peu délabrées, des forces de l’ordre absentes, des familles en reconstruction qui tentent de joindre les deux bouts par des petits boulots sous-payés, la violence des gangs, la drogue, le climat social est donc des plus désastreux.


Le monde habité par Dayveon est rempli de lieux sauvages et bruts du Sud avec ces magasins de proximité à peine existants dans des bandes commerçantes abandonnées qui favorisent l’économie au noir. Le film aurait pu tomber dans une surenchère de misérabilisme avec le pathos qui caractérise le festival « Sundance » mais ne fait pas de son film une étude de société scolaire et à charge. Au contraire de cela, Stupid Things n’est pas dans la controverse idéologique mais s’appuie sur un langage propre et qui crée à lui seul un monde aussi petit que foisonnant. Cependant, même si Stupid Things nous immerge dans une contrée cinématographique connue, avec ses codes et ses tics visuels, il se révèle être un vrai petit bijou de cinéma, notamment pour un premier film.


Le film, du long de ses 75 minutes, se penche fortement sur l’atmosphère plutôt que sur l’intrigue. Dayveon, toujours en deuil de la mort prématurée de son frère aîné, vit avec sa soeur Kim et son petit-ami Bryan, en comptant l’absentéisme de ses parents, entraîné par la perte de leur progéniture. En effet, il s’agit d’un monde où la présence d’adultes est minime et laisse les adolescents comme Dayveon libres de tracer leur propre chemin vers la recherche de soi voire même de la virilité (même questionnement que dans Moonlight).


Ces éléments thématiques et narratifs nous sont familiers et ne nous offrent pas beaucoup de surprise dans la matérialisation du contexte évoqué, mais bizarrement, cela ne diminue en rien l’impact émotionnel et crépusculaire du cheminement. De cette scène inaugurale lorsque Dayveon nous parle du meurtre de son frère à cette séquence finale faisant un panoramique de tous ces personnages qui veulent juste sortir la tête de l’eau, Amman Abbasi prend sa caméra et suit de très près, que cela soit d’un point de vue visuel et émotionnel, le jeune garçon qu’est Dayveon et le voit se métamorphoser dans un quotidien dont l’issue est très incertaine.


Dès le début, la caméra garde sa distance, mais le murmure de Dayveon se fait intime et personnel, accrochant le public à la frustration et à l’immaturité du protagoniste avec une urgence rare. Filmé en 4 :3 comme avaient pu le faire Xavier Dolan avec Mommy ou Andrea Arnold avec American Honey et les Hauts du Hurlevent, Stupid Things capte avec finesse les prémisses d’un visage marqué par les coups, cette nature en jachère qui devient par le biais des choses, l’antre d’une paix intérieure. Ce format dont le cadre s’avère plus resserré, n’est pas qu’un simple gimmick esthétique, mais donne une véritable personnalité à l’œuvre et accentue le propos du film et son envergure initiatique.


De son esthétique naturaliste parfois proche de Terrence Malick, de ce montage qui superpose le flou des dialogues et le tremblement des plans dans une mosaïque sensitive prenante et hypnotique, Amman Abbasi évite les soubresauts d’angoisse opportunistes mais installe une atmosphère émouvante de moments simples forgeant les états d’âmes qui font avancer dans le monde maladif et iconique du film. Cet équilibre dépend en grande partie de Devin Blackmon, qui est à l’écran durant la majeure du film, et gère cette pression de manière impressionnante pour faire de Stupid Things un film aussi humble qu’ambitieux mais d’une grande profondeur empathique dans son évocation de la dramaturgie du quotidien.


Article complet et original sur CineSeries Le Mag

Velvetman
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le 1 oct. 2017

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