Ces instants d'éternité suspendus, imperceptibles et fugaces, à ne pas manquer ...

Quelque chose ici vient d'être réalisé en peignant sur la toile du cinéaste ce lien unissant les énergies qui nous animent que d'aucuns appelleront Amour sous toutes ses formes. Le film explore la relation à l'autre et au monde principalement au travers du regard de deux adolescents amoureux, candides, heureux ou éplorés, interrogateurs ou révoltés, sensibles et tendres ou encore froids et défiants, en territoire insulaire nippon. Filiation, attirance, désordre, conflit, peine ou bonheur dans ses quelques multiples expressions.
Ce lien qui fait de Dame Nature et de ses êtres de chair et de sang une union éternelle allant et venant depuis la nuit des temps. Cette tendresse qui soude un enfant à ses parents quoi qu'il comprenne du monde adulte parfois si hermétique, incompréhensible et ne correspondant pas toujours à ses rêves innocents d'une famille parfaite, vivante et unie pour toujours.
Cette indescriptible attirance qui pour deux adolescents amoureux s'exprime en danse timide et maladroite ; parfaitement sincère pourtant, belle et troublée.
Ces paquets de mer auxquels il est si vain de résister... Car c'est ainsi que vont les choses.
Hors du temps, capter l'instant ultime où la vague culmine... Ce film est tout cela à la fois.

Il s'agit ici d'une ode à l' instant qui ne sera bientôt plus là, en fin de déferlante, car échoué et éclaté, le voilà disparu entre sable et mer, immergé...
Depuis que la vie dicte ses lois à l'univers matériel, ces liens ne cessent de se faire et de se défaire comme un océan d'énergies vous frappant au visage et animant imperceptiblement mais assurément et tendrement les pulsations de votre propre cœur . Depuis toujours l'onde donne et reprend la vie, sans nous dire toujours qu'elle et nous sommes UN et que rien n'est réellement perdu ou séparé.

Quelque-chose de magnifique vient d'être traduit ici en image et sons, mentionnais-je un peu plus haut, en substance... Naomi Kawase, réalisatrice de l'oeuvre, pose ici un regard aussi tendre que cru sur l'île nippone, sa nature ou les êtres la constituant, magnifiquement interprétés d'ailleurs et filmés ( un naturel et une simplicité bluffantes ) .
Le regard posé là est d'une grande justesse aimante, même si quelques pratiques peuvent heurter des sensibilités, (animal ou arbre extorqués brutalement à la vie) et rythmer par là-même le lent cours de ces images à la manière du ressac.
Cet infime et unique instant de totalité où l'on reconnait enfin l'imperceptible unité qui nous lie tous au tout depuis toujours. Au fond de l'eau salée, nous voilà noyés dans le regard de l'autre, dans les yeux de cette mère perdue qui ne parvient à se poser avec un seul homme et contre laquelle on tempête tout en l'aimant tellement, ne s'en rendant compte que quand elle vient à disparaitre. Noyés dans la révolte adolescente contre ce monde adulte qui peine à nous comprendre et que l'on n' accepte que difficilement .
Noyés dans la rage de devoir affronter la fatalité de la maladie qui nous arrache cruellement nos proches.
Noyés dans ces souffrances de ne plus jamais nous revoir, dans cet amour si compliqué à exprimer, dans ces mots qui se taisent au lieu de s'abandonner, dans ces corps qui s'entremêlent trop vite ou impatients et fougueux qu'ils sont, tardant à se révéler l'un à l'autre.

Rarement a-t-on pu toucher à cette essence en cinéma même si le message n'apparait clairement que dans le dernier tiers du film.En effet, les deux tiers précédents ont bien que bercé, pu, par leur rythme lent et leur objet imperceptible parfois, troubler et taquiner l'ennui du spectateur, s'il ne s'est pas endormi déjà.
Une œuvre où il faut être patient, donc, et accepter le cours de l'eau comme du film, de la mise en scène ou de l'existence finalement car tout est lié, ici.
Les accepter tel qu'ils sont, sans résister.
Accepter aussi d' attendre la vague dont l'origine naissante se situe à des milliers de kilomètres pour enfin s''épanouir dans sa plus pure et rageante expression. Bientôt,la voilà expressive et impétueuse, plongeante et explosive, à nous faire saisir cet instant d'éternité où nous ne faisons tous qu'un.
Ce moment fugace où apparait limpide l'unité éternelle de l'être avec tout ce qui constitue ou anime la vie, que d'aucuns nommeront le Tao.
Ce moment de profonde quiétude, de paix parfaite, intérieure et extérieure, où l'eau après avoir ragé, s'apaise ou se déclare suspendue dans le temps, au sommet de la vague, sur sa planche de surf, et où on ne fait encore une fois qu'UN : " Still, The Water " .
Une ode à la nature, aux instant fugaces d'une existence qu' il est si commun de ne pas saisir au vol à force de courir , de chercher à consommer toujours plus, posséder, prendre le pouvoir sur de nouveaux objets, êtres ou territoires ... Une ode aux relations compliquées que l'on entretient avec ses chers et tendres, ne se révélant pas toujours immédiatement dans leur plus pure et limpide expression.

Enfin, et c'est je crois très important considérant le rôle catalyseur et l'effet du cinéma sur le spectateur dans le cours sa propre existence : une envie de prendre dans nos bras nos chers avant qu'ils ne repartent dans cette énergie constituant le grand Tout. Une envie de vivre dans l'instant présent, également. Une envie de vivre. Mais vivre simplement, maintenant, et tendrement.
Vivre en acceptant l'existence telle qu'elle est, aussi belle, cruelle, envahissante, fatale, aimante, harmonieuse, riche, mystérieuse, puisse-t-elle être qu'un océan tranquille ou courroucé nous engloutissant, nous avalant, nous protégeant aussi d'autres fois.
Accepter que l'eau, notre principal constituant physique, est telle la vie. Nous pouvons la trouver collante, étrangère, embarrassante, lui résister comme au contraire l'accueillir en pleine confiance, s'abandonner à elle et enfin plonger en elle, libre et serein, à l'image de ce couple d'adolescents aux approches différentes, presque antagonistes, pour finalement s'y abandonner, nus, à deux, à UN ( fin du film)
Et ainsi vont les choses, comme les vagues qui vont et viennent sur l'archipel d'Amami, comme ces corps qui naissent ou s'échouent sur ses côtes...

Ah ! J'aurais tellement voulu mettre un 9 ou 10 ici mais ce qui lui fut reproché à demi-mots plus haut m'en empêche. Il faut cependant saluer cette touche picturale qui donne au 7ème art cette brise parfumée donnant envie de vivre autrement. Or cette production cinématographique extrême-orientale l'illustre réellement.

On capte l'importance de chaque instant qui passe avant que ces mêmes instants nous reprennent un jour ce magnifique cadeau qu'est l'affection et le lien à sa mère, son père, ses enfants ou les éléments (ici, océan, arbre, lumière du soleil, tempête, fonds sous-marins, nudité naturelle)... Tous ces " autres " sans lesquels le bonheur aurait tant de peine à naître et se déclarer ...

La révélation tarde un peu trop sans doute, laissant le spectateur quelque peu perdu en cours de route ou suspendu à une attente impatiente, et c'est dommage, me ,semble-t-il tout du moins. Mais cela reste, je crois, une œuvre immanquable comme le sont ces instants fugaces de vie qui viennent et repartent tels des flux et reflux sans fin de la mer du Japon ou de l'océan Pacifique ...
Et que l'on manque sans doute trop souvent de contempler, de prendre le temps de regarder, d'envahir d'une pleine conscience de l'instant , alors que l'existence se déroule imperceptiblement, impitoyablement, inexorablement, brusquement ou lentement devant nos yeux aveugles ou bien au contraire : attentifs et parfois même émerveillés ...
Fullstorm
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le 6 oct. 2014

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Fullstorm

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