Quand on va voir un film comme Still Alice, c'est forcément par goût pour le drama qui tâche. On sait que ça va raconter une histoire abominable, et que même si c'est parfaitement raté, le quart d'heure restera sale, et long. Pour y aller de son plein gré, il faut être un peu masochiste, quoi.


Mais même lorsqu'on est cela, ET un fan insatiable du genre, il est préférable de savoir où l'on met les pieds. On prendra donc soin de préciser, à l'intention de ceux qui prennent SA pour le premier film majeur abordant de front une telle situation (le cas épouvantable d'"early onset Alzheimer"), qu'au moins deux bons films l'ont précédé : le japonais Memories of Tomorrow (Ashita no Kioku), en 2006, et le sud-coréen A Moment to Remember (Nae meorisokui jiwoogae), en 2004. Bons films, mais surtout en tout point supérieurs à SA sur les plans cinématographique et narratif (surtout le bouleversant AMTR). Ce qu'ils ont de plus ? Pour faire très simple : un angle. Enfin, surtout un, ou des réalisateurs avec un angle.


Parce que Still Alice a la grande Julianne Moore et un sujet qui fait de lui un appel aux dons aussi louable qu'idéal, le critiquer trop violemment reviendra peut-être, aux yeux de certains, à battre à mort la petite sirène avec un pied de biche, mais comme dit le vieil adage, il faut bien quelqu'un pour faire le sale boulot. Parce qu'un beau message de sensibilisation ne fait pas un beau film, et que SA est un long-métrage de fiction, c'est le résultat qui doit être jugé, et non les intentions. Aussi se permettra-t-on d'avouer que son visionnage n'apporte pas grand-chose de plus qu'une vulgaire publicité pour la recherche contre le cancer diffusée au milieu d'un soap opera de mémés.


La faute incombe essentiellement à un scénario raté, qui peine à aborder de front l'éprouvante épouvante de la situation dans laquelle se trouve l'héroïne : à l'exception d'une douloureuse scène où échoue le suicide qu'elle avait pourtant planifié brillamment alors qu'elle avait encore toute sa tête, faisant d'Alice la pire ennemie d'Alice, ce que l'on voit n'effraie pas des masses. Deux-trois scènes émeuvent, assurément, mais ça aurait dû être le cas du film entier. Une pudeur faux-jeton nous tient à distance du drame, sans doute liée à la pudeur de son héroïne-courage (n'ayant hélas pour elle que le talent de son actrice principale). Or, le problème est qu'Alice constitue pratiquement le seul moteur dramatique du film, car au-delà d'elle, quasiment rien n'existe : à une exception, celle de sa fille Lydia, les personnages secondaires sont insignifiants (Kate Bosworth, WTF girl ?), et ce qui les concerne n'apporte RIEN au drame, comme le fait que sa fille Anna soit testée positive, ou l'attitude trop désinvolte de son mari John à l'égard de la situation (on sait que cela cache des émotions plus fortes, mais elles ne transparaitront quasiment jamais, et c'est cela qui compte). Face à la résignation de l'héroïne, on aurait dû pouvoir compter sur l'entourage pour susciter l'émotion… Au final, une des raisons pour lesquelles on ressort davantage ému d'un bon épisode de House M.D., même un qui finit bien, que de SA, est l'absence de réelles connexions humaines. Ne pas réussir cette partie, pourtant la plus élémentaire d'une telle histoire, est presque aussi déprimant que la maladie en question !


On écrit "ne pas réussir" plutôt que "rater" car le personnage de Lydia, déjà cité, fait figure d'élément rédempteur, seul personnage un minimum développé et réellement impliqué à la fin (c'est elle qui prend en charge sa mère), comme si les scénaristes avaient compté sur elle pour faire tout le boulot, Lydia est synonyme, dans SA, des seules scènes où daigneront poindre quelques larmichettes. Il faut dire qu'il doit énormément à la toujours bluffante Kristen Stewart, dont les scènes permettent de supporter la tiédeur de la seconde partie (cf. sa réaction quand Alice vient la féliciter après sa pièce de théâtre et se trompe de prénom). Envoyant balader les mauvaises langues qui s'arrêtent encore sur Twilight, elle continue son irrésistible ascension dans le cinéma indé. Comme la Clio, elle a tout d'une grande (pardon). En dehors d'elle et de Julianne, tout dans SA est petit.


Certains critiques louent ce qu'ils interprètent comme de la "retenue", et le refus du film de céder aux violons et au voyeurisme. C'est sûr que quand on ne montre rien, le problème est réglé. Nous, nous parlerons plutôt de tiédeur, et leur demanderons en quoi faire pleurer le spectateur devant un sujet aussi abominable est si condamnable. En quoi ? En rien. Et des scènes clichées et un peu neuneus entre l'héroïne et sa famille auraient toujours mieux valu que rien. On ne demandait pas de l'hystérie : simplement des réactions digne de ce nom, plutôt que l'attitude de zombie qui caractérise les trois-quarts de l'entourage d'Alice. En matière de tiédeur, Alec Baldwin, sympa mais clairement pas au niveau, donne une bonne idée de l'investissement émotionnel du spectateur tant qu'il n'est pas trop bonne poire : très limité.


Et, chose amusante, la plupart des effets dramatiques pleins de "retenue" exploseront en vol : quand le film se décidera à pleurnicher, ce sera au mauvais moment, cf. cette scène où l'héroïne fond soudain en larmes dans le lit marital alors qu'elle n'est pas encore certaine d'être touchée, et que son mari n'est même pas au courant de ce qu'il se passe, bordel… Par ailleurs, le film bourré de "retenue" n'arrivera même pas à éviter tous les clichés lacrymaux du genre : on pense surtout au discours final d'Alice devant une assemblée en larmes… joli, comme sont jolies les intentions du film, mais désespérément prévisible et digne d'une pièce de théâtre écrite par des lycéens nourri aux dramas de Mtv.


Pas vraiment inspirés à l'écriture, le couple (c'est le cas de le dire) de réalisateurs Glatzer et Westmoreland aurait dû tout miser sur une approche viscérale du sujet, embrassant son horreur jusque dans ses codes esthétiques, peut-être pas au point d'atteindre le niveau d'expérimentation d'un Scaphandre et le Papillon, mais quelque chose de burné, quoi. Las !, pour cela, il leur aurait fallu des burnes. Au lieu de ça, on flirte plutôt avec le niveau d'un feuilleton de France Télévision, effet accentué par la bande originale aussi répétitive qu'insignifiante d'Ilan Eshkeri, qui porte sur chacune de ses notes tiédasses l'injonction de s'émotionner, alors qu'on n'est déjà pas super convaincu. Le risque, quand on veut traiter de sujets bouillants, c'est de vouloir faire trop solennel et fédérateur, tétanisé à l'idée de ne pas être à la hauteur de la souffrance des personnes plus ou moins directement concernées par cette tragédie dans la vraie vie. Si Glatzer et Westmoreland avaient fait quoi que ce soit de réussi ou notable par le passé, on aurait pu mettre la mollesse de leur mise en scène et la médiocrité de leur scénario sur ce compte… Dans le cas de SA, tout indique un cas élémentaire d'incompétence généralisée. Qui sait ce qu'un Jean-Marc Vallée aurait fait à leur place !


Alzheimer est une des pires afflictions connues par l'homme. La personne, et l'on parle bien de la notion de personne et non celle, mathématique, d'individu, meurt quand meurt sa mémoire. À la fin du film, Alice n'est pas bien plus qu'un zombie. Et encore, un zombie a un but : manger les héros de The Walking Dead (dont certains méritent d'ailleurs un tel sort). Elle, elle ne fait plus rien. Elle erre. Si l'on ressent ce néant, c'est essentiellement grâce à Julianne Moore, parfaite tant dans l'impérieuse vivacité intellectuelle que dans le néant, et qui méritait son Oscar (prévisible, là aussi…). Mais une actrice, fût-elle la plus brillante de sa génération, ne peut subjuguer le spectateur si elle est entourée d'incapables. Au risque de se répéter, on aurait dû sortir de SA lessivé, terrifié à l'idée que ça nous arrive ou que cela arrive à nos parents, bondissant d'horreur à chaque fois qu'un mot nous échappe ou qu'on ne retrouve pas le nom de tel chanteur de pop des années 80. Au lieu de ça… on en sort concerné, certes, désolé pour les millions de victimes de cette tragédie, of course, mais déjà sur le point d'oublier ce qu'on vient de voir. Soit le comble pour un film sur Alzheimer, auquel on donnera néanmoins la moyenne pour l'interprétation de ses deux actrices principales, et… allez, pour la cause !

ScaarAlexander
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes sorties ciné 2015

Créée

le 29 avr. 2015

Critique lue 1.4K fois

6 j'aime

Scaar_Alexander

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

6

D'autres avis sur Still Alice

Still Alice
VaultBoy
8

Inoubliable Julianne Moore

Récompensée l’année dernière à Cannes pour son rôle d’actrice névrosée dans Maps to the Stars, Julianne Moore vient de décrocher le premier Oscar de sa carrière grâce à Still Alice, l’émouvant récit...

le 1 mars 2015

50 j'aime

4

Still Alice
Serge_Federico
8

Au-delà du film, il y a le thème

Il y a des films qu'on ne juge pas de manière froide, en fonction des qualités techniques ou cinématographiques de l'oeuvre, mais en écoutant ses tripes, en évaluant la force émotive plus que...

le 4 mars 2015

18 j'aime

1

Still Alice
geekounette
7

témoignage très juste sur la maladie d'Alzheimer

Travaillant depuis de nombreuses années avec des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, ce film m'a rappelé beaucoup de situations que j'ai pu vivre avec ces dernières. Ce film, bien que...

le 30 nov. 2014

18 j'aime

1

Du même critique

The Guard
ScaarAlexander
7

"Are you a soldier, or a female soldier ?"

[Petite précision avant lecture : si l'auteur de ces lignes n'est pas exactement fan de la politique étrangère de l'Oncle Sam, il ne condamnera pas de son sofa les mauvais traitements d'enfoirés plus...

le 18 oct. 2014

35 j'aime

5

C'est la fin
ScaarAlexander
2

Ah ça c'est clair, c'est la fin.

Il y a des projets cinématographiques face auxquels tu ne cesses de te répéter « Naaaan, ça va le faire », sans jamais en être vraiment convaincu. This is The End est un de ces films. Pourquoi ça...

le 15 sept. 2013

33 j'aime

9

Les Veuves
ScaarAlexander
5

15% polar, 85% féministe

Avant-propos : En début d’année 2018 est sorti en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. J’y suis allé avec la candeur du pop-corneur amateur de cinéma dit « de genre », et confiant en le...

le 2 déc. 2018

27 j'aime

12