Avant-propos : En début d’année 2018 est sorti en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. J’y suis allé avec la candeur du pop-corneur amateur de cinéma dit « de genre », et confiant en le fait que ce film allait signer le retour en forme du cinéaste mexicain après quelques gros ratés. Las ! L’inadéquation entre la médiocrité du film et sa célébration illuminée par la critique m’a, au lieu de ça, mis dans une délicate position : celle de me sentir sur une autre planète. Alors, j’en ai tiré au final plus de satisfaction, celle certes un peu superficielle de l’outsider qui ne hurle pas avec les loups, que de frustration, puisque j’ai compris POURQUOI tant de gens tombaient dans le panneau (l’idéologie), mais… au final, le cinéma n’en sortait pas grandi, et l’expérience était négative. Le nouveau film de Steve McQueen, autre réalisateur d’un film que je place dans mon top 100 (Le Labyrinthe de Pan pour del Toro, Shame pour McQueen), est loin d’atteindre le niveau d’idiotie de La Forme de l’eau, les deux cas de figure comportent des similarités : c’est mis en scène par un cinéaste célébré, c’est porteur de messages politiques orientés à gauche, c’est mal écrit, c’est pourtant bieeeen trop apprécié par la presse, et ça m’a laissé sur le carreau. Encore une fois, moins que La Forme de l’eau ; mais certaines critiques élogieuses me plongent dans le même embarras.


Le postulat de Widows n'est pas du tout en faute, attention. Il est, au contraire, bourré de promesses, mélangeant étude de mœurs via sa peinture de couples dans la société américaine, et plus généralement des rapports hommes/femmes, exploration de leurs différents rapports à la violence, à l’autorité, et à la solidarité, drame sur le veuvage, et, naturellement, film de cambriolage (« heist movie ») avec le sexe des braqueuses comme potentiellement savoureux joker dans un thriller qui ne pouvait qu'être hypertendu, puisque réalisé par McQueen. Insistons là-dessus : la présence de McQueen à la barre semblait une garantie d’approche réaliste du sujet, brute, sans concession… la garantie d’un « anti-Ocean's 8 », en gros. Alors, oui, mais hélas, non. Parce que si Widows n'entache pas l'image d'immense faiseur d'images dont jouit le cinéaste, il prouve en revanche que le gars n'a pas QUE des trucs passionnants à raconter : son film est très beau à voir, parfois impressionnant techniquement, mais il est aussi très, très mal écrit, et au final tristement vain.


Widows parle de veuves, et qui dit veuves dit femmes


On s'attend donc à des portraits de femmes dignes de ce nom, et autant d'occasions de briller pour leurs interprètes. Or, leurs personnages tiennent sur des tickets de métro. Au mieux, on sait deux-trois trucs sur Veronica et Alice, interprétées par la grande Viola Davis et Elizabeth Debicki ; les deux autres sont presque anonyme, Y COMPRIS le personnage de Linda joué par Michelle Rodriguez, qui a tout juste UNE scène de développement, où elle manque de coucher avec un inconnu pour montrer combien elle est bouleversée, mais qui sort de nulle part. Que font, ou du moins faisaient ces femmes, dans la vie ? On n'en sait rien dans le cas de Veronica (un comble), on sait que Linda avait une boutique (c'est tout), et qu'Alice était une femme battue à plein temps (là, ça passe...). Qu’est-ce qui les anime ? Linda, c’est récupérer sa boutique – ne tapant pas très loin des motivations désespérément matérialistes des héroïnes de l’Ocean’s 8 susmentionné, ironiquement. Les autres ? Survivre. Survivre, c'est bien. Mais tout le monde veut survivre, à quelques fous près. Ça ne fait pas un personnage. Quant à Belle (Cynthia Erivo), quatrième roue du carrosse… on ne se rappelle même pas son putain de nom (Belle !), ce qui en dit long.


Belle joue la « driveuse » de l'équipe. Ce n'était pas une raison pour la dénigrer. Le « driver » de Heat, joué par Dennis Haysbert, n’avait pas des heures de développement, lui non plus, et pourtant l'on finissait par s'attacher à lui grâce à deux, trois belles scènes où il tentait de se réintégrer (dans un film de trois heures certes, rappelant combien deux maigres heures étaient insuffisantes pour raconter ce que McQueen et sa co-scénariste Gillian Flynn avaient à raconter). Belle n’a rien de ça. Ses deux, trois scènes dans le salon de coiffure où elle travaille la font parler politique avec son employeuse, en mode « sois maîtresse de ton destin, sœur de couleur », plutôt que de la développer...


Évacuons la politique : oui, Widows est donc un film à message


Ça saute un peu aux yeux, considérant les sujets abordés et l’époque que nous vivons, et l'on pouvait très bien se passer des interventions pas très subtiles de McQueen, Flynn, et leurs actrices sur les plateaux de télévision. Encore une fois, ce n’est, en principe, pas un problème : il faudrait être un gros con pour ne pas apprécier qu’Hollywood donne des rôles de femmes fortes et indépendantes à ses actrices en explorant un genre majoritairement peuplé de personnages masculins. Il fallait juste savoir QUOI faire de ce détournement de codes et de ces thèmes archi-éculés dans le cinéma actuel. Le problème est que Widows échoue sur ces deux plans. Et qu’en échouant, il se retrouve avec une tambouille de clichés progressistes dont l’aspect manichéen saute d’autant plus violemment aux yeux. On a des femmes nobles et courageuses, des minorités opprimées, des flics blancs et racistes, des politiciens corrompus, des maris trompeurs (« magnifique » portrait de la gent masculine au passage, nous reviendrons dessus plus bas), et a-t-on parlé des femmes nobles et courageuses, déjà ? Avec beaucoup de talent, une connaissance de l'histoire des sujets abordés et de la réalité de la situation actuelle, un minimum de savoir dans le domaine des idées politiques, et du discernement, il y a moyen de rendre cette tambouille digeste, si, si. Sans ça, ça ne vole pas plus haut que la moyenne des chouineries bien-pensantes hollywoodiennes. Réalité : Widows est sauvé de la noyade politiquement correct par sa sobriété. Il y a de la crème dans la tarte, mais ce n'est pas une tarte à la crème.


Cependant, McQueen et Flynn ne se contentent pas d'enfiler les clichés ; ils vont plus loin. Widows parle de veuves, mais considère visiblement que ce sujet ne suffit pas à faire un film, puisqu'il « racialise » son intrigue, atteint de ce mal d’actualité qu’est l'intersectionnalité, délire du féminisme dévoyé qui règne à Hollywood. Une simple histoire de femmes prenant leurs destins en main ? Pas assez « conscientisé », faut-il croire. La vraie justice sociale réside dans la convergence des luttes, aussi fallait-il quelque chose comme une touche de Black Lives Matter, par exemple. C'est chose faite avec ce flashback, dérapage dans le dernière virage, où le défunt fils de Veronica se fait descendre par de vils flics blancs dans une rue aux murs placardés d’affiches de campagne d’Obama – fils ayant dans sa chambre un poster de Malcolm X, histoire d’être VRAIMENT subtil. Aussi fallait-il que l’assistante de l’entreprise d’architecture aide Linda... en espagnol, parce que solidarité entre « latinas » plutôt qu’entre « simples » femmes. Aussi fallait-il que l’héroïne sorte des répliques du type de « C’est ça, casse-toi avec ta nouvelle famille blanche ! ». Aussi fallait-il que le vieux politicien, forcément un salaud, s’en prenne à un moment aux immigrés clandestins et à la communauté noire (sous-entendue derrière le « qui font trop d’enfants »).


Une des nombreuses qualités du cinéma de McQueen, du moins jusqu’ici, c’était son côté anti-Spike Lee. Hunger et Shame auraient très bien pu être écrits et mis en scène par un Blanc, ils avaient même TOUTES les chances de l’être, mais ils ne l’étaient pas, et ça ne faisait AUCUNE différence. Même 12 Years a Slave, son moins réussi, mais tout de même un film fort, ne témoignait pas d’un grossier identitarisme racial. Vous pouvez traiter l’auteur de ces lignes de « colorblind racism », comme c’est à la mode dans la gauche racialiste américaine. En bon Français, il défend l’idéal de l’assimilation, et vous fait un doigt.


Widows parle de veuves prenant leurs destins en main


Dans un film, prendre son destin en main implique de sortir de sa zone de confort. Autant dire que dans le cas présent, la sortie ne pouvait qu'être radicale. Or, McQueen consacre à ce processus... quoi, une misérable poignée de scènes ? Après une première rencontre entre les trois héroïnes (Veronica, Alice et Linda), qui manque assez remarquablement d'étincelles et inquiète un peu pour la suite, la bande se forme en deux temps, trois mouvements (« yo, vous êtes in ? Okay, cool, on y va, les filles »), et l'intégration de Belle sera encore plus accablante de facilité. Alice, la femme battue, passe en un claquement de doigts du statut de victime entretenue à celui de self-made woman à qui on ne la fait pas. On a droit à une petite scène au stand de tir entre filles, comme si c’était un passage obligé à expédier. Et l’affaire est pliée. Toute cette partie restera tirée par les cheveux, à mille lieues du souci de réalisme que l’on osait attendre d’un film de McQueen. À un moment, le personnage de Veronica dira même, en substance : « On a trois jours pour devenir aussi capables que des hommes ! », réplique digne d'un film de Michael Bay.


Fait aggravant, le tout est traité avec un sérieux de cancéreux en phase terminale, incapable du moindre trait d’humour, renforçant cette impression de film qui ne se prend pas pour de la merde ; et l’on ne parle pas d’ici de quota humoristique à la Marvel, hein : simplement de ces plages de détente qui empêchent l’homme de devenir fou dans les pires circonstances, et permettent de développer des personnages, au passage…


Widows se revendique en bonne partie un film de casse


C'est vrai, c'est un film sérieux, quoi ! Or, de ce point de vue, c’est un échec spectaculaire. Son intrigue ne se distingue que par le sexe de ses protagonistes, ce qui est vite insuffisant pour quiconque a vu dans sa vie au moins deux ou trois films de cambriolage. La préparation du casse, l’étude de la sécurité de la maison à infiltrer, les inévitables ratés durant l'infiltration, tout a été vu mille fois, et McQueen ne propose pas une variante qui se démarque du lot (désolé, Steve, mais ce n'est pas avec ton idée de code lu à l'envers que tu vas t'en sortir). Son intrigue manque d’une mise en place CLAIRE car la préparation susmentionnée est tout bonnement ignorée par les scénaristes, alors que c'est une étape cruciale, ne serait-ce que pour mieux déjouer les attentes du public, par la suite. Dans Widows, on a tout juste Veronica disant qu’elle a un plan... Linda trouvant bien trop facilement à quoi correspond le plan de la propriété des Mulligan... Alice achetant des flingues... ah oui, et Veronica au ralenti entrant dans pas mal de pièces avec l'air concentré de celle qui a un plan... et c'est tout.


Par ailleurs, le cambriolage doit également être un projet à haut risque : sans cela, pas d'enjeux clairement élevés, et donc pas d'intensité. Comme là aussi, c'est traité par-dessus la jambe, le spectateur ne tire même pas de réelle satisfaction de la réussite de l’opération ; zéro « payoff » dûment attendu par le vaillant pop-corneur. Durant un Q&A, McQueen et Flynn ont argué qu’ils voulaient un casse « humble », pour rester concentré sur la démarche des protagonistes. Pas de diamants à cinquante millions de dollars, en gros. Mais ça ressemble plus à une mauvaise excuse, car pas besoin de diamants, pour créer de l’intensité : Le Voleur de Bicyclette a autrement plus d’intensité dramatique que Widows alors que dans les faits, son protagoniste ne fait que voler une putain de bicyclette.


Par ailleurs, Widows manque d’un antagoniste de qualité, ce qui ne le fait pas trop pour un thriller : son premier acte laisse entendre que Jamal Manning, le gangster aspirant-politicien rappelant Stringer Bell, jouera ce rôle, mais son influence sur l’intrigue se réduit vite aux apparitions de son frère-bras droit (joué par Daniel Kaluuya, de Get Out), apparitions de plus en plus rares qui impressionnent de moins en moins au fil du récit. Son arc narratif n’aura aucune résolution digne de ce nom : la logique aurait voulu qu’il revoit Veronica au moins une seconde fois, vers la fin (vous savez, pour ses millions…), mais c’était trop demander, et sa présence dans le troisième acte sera insignifiante.


Widows, c'est du sérieux !


Sauf que McQueen place ses veuves dans un monde de bande dessinée. Un monde où l’on peut déposer sa partenaire blessée par balle à l’hosto, la nuit d’un braquage ayant mal tourné dans un quartier bourgeois à proximité où elle a, au préalable, laissé une jolie flaque de sang. Un monde où la servante de la demeure des Mulligan ne prévient PERSONNE une fois laissée tranquille par les cambrioleuses (pourquoi, par solidarité féminine ?). Un monde où la police n'est même pas prise en compte dans l'après-coup d'un cambriolage. Le moment du film qui illustre le mieux cette paresse généralisée est le rebondissement sans conséquence qui se produit lorsque Jatemme (Kaluuya) vole le van des héroïnes. D’abord, il les laisse toutes en vie alors qu’il a été posé plus tôt que c’est un maniaque génocidaire, mais admettons qu’il ait voulu s’épargner les complications. Non, le ridicule vient avec le dénouement : alors qu'on s’attendait à des conséquences dramatiques sur le plan des filles (un coup, le gros lot... le coup d’après, plus de gros lot…), c’est réglé deux minutes plus tard, et de la façon la plus terne possible. À l’exception du twist ridicule regardant le personnage de Harry Rawlings, sur lequel nous nous arrêterons plus bas, aucune complication ne viendra tendre la situation dans laquelle se trouvent nos héroïnes.


La fin donne l’impression que ni McQueen, ni sa co-scénariste n’avaient la moindre idée de COMMENT conclure leur histoire. La vague indication qu’elles deviendront toutes copines, ça, oui, le message passe dans le tout dernier plan. C'est trop meugnon. Mais encore ? Ben, rien.


Widows, c'est un film d'actrices, non ?


En sa qualité de film de Steve McQueen, il promettait des interprétations de qualité de la part de l'ensemble de son casting d’actrices compétentes, par ailleurs forcément impliquées dans cette entreprise à haute teneur féministe. Alors certes, elles ont fait un très bon travail. Autant que possible avec ce qu'on leur a données à jouer. Comme avancé plus haut, déjà deux d’entre elles écopent de personnages ingrats : Michelle Rodriguez, qui n’a en fait qu’UNE scène intéressante à se mettre sous la dent en tant qu’actrice, sauf que cette dernière est l'un peu grand-guignolesque roulage de pelles mentionné dans le chapitre sur les personnages féminins ; et Cynthia Erivo, jolie révélation dans Sale Temps à El Royale mais qui, ici, ne ressemble hélas pas à grand-chose (à quelques reprises, on la sent à deux doigts de claquer des doigts en faisant la moue). Alors on met bien en avant Viola Davis. La graaaande Viola Davis. Morgan Freeman avec des ovaires. C’est indéniablement une excellente actrice... mais sa performance dans Widows sent parfois l’auto-caricature, l’actrice nous sortant un nombre incalculable de fois son fameux regard plein de détermination et de dignité de femme que le monde traîne dans la boue mais qui sortira triomphante des pires épreuves, et bla, bla, bla (désolé). En fait, face au gaspillage de ce joyau nommé Carrie Coon, qui écope ici d'un personnage insignifiant, on se prend à trouver qu'elle aurait fait un encore meilleur job que Viola Davis (Morgan Freeman ou pas)...


Au bout du compte, la sculpturale Elizabeth Debicki est sans doute la seule du lot à tirer de VRAIS fruits de sa performance : bien que son personnage mûrisse décidément trop vite, il est le seul auquel on s’attache un peu. Parions que cette expérience lui ouvrira des portes, malgré sa taille bien trop grande qui continuera d’entraver sa carrière, quoiqu’il arrive (faut dire qu’1m88, c’est quand même chaud).


Widows parle de veuves, donc de femmes qui ont, chacune, aimé un homme


Le problème est que dans ce film, aucun personnage de mec n'est récupérable, à part peut-être Bash, sous-fifre de Veronica qui crève hors-champ comme une merde, interprété le mésestimé Garret Dillahunt. Du côté des braqueurs clamsés, un d’eux battait sa femme (Jon Bernthal, lui aussi gaspillé, comme ça lui arrive trop souvent malgré son rôle-titre dans la série The Punisher) ; l'autre la volait (certes, c'était des hors-la-loi, donc pas forcément des parangons de morale, mais tout de même !) ; et surtout, même le personnage de Harry Rawlings, joué par Liam Neeson, s'avère être une ordure (nous reviendrons sur lui plus bas). Du côté des personnages secondaires, les frères Manning sont des gangsters impitoyables, donc on saute cette case d'office, et les Mulligan père et fils ne sont que des bâtards de politicards racistes de père en fils. Et du côté des personnages tertiaires, ça trompe sa femme... en sautant sa nièce. Soit un portrait de la gent masculine dont la nuance rappelle le funeste Ghostbusters de 2016, tiens.


Les carences de « character development » touchent donc, vous l'avez compris, tous les personnages, qu’ils soient masculins ou féminins. Les seuls acteurs bénéficiant d’un minimum de temps d'antenne sont Kaluuya, Colin Farrell, et (le très résistant) Robert Duvall. Hélas, Kaluuya écope d’un personnage complètement cartoonesque d’exécutant psychopathe (il poignarde un type en fauteuil roulant, shocking !), qui meurt lui aussi comme un con dans une scène hautement délirante (le rebondissement sans conséquence évoqué plus haut), alors que ce côté cartoonesque laissait au moins espérer une mort haute en couleur (qu'elles se mettent à quatre sur lui à coups de talons, par exemple). Et pour ce qui est de Farrell et Duvall, c’est simple, on leur doit la meilleure scène du film, celle de leur dispute… mais c’est une scène également frustrante, car on ne profitera à aucun autre moment du potentiel de ce duo père-fils.


La révélation, dans le dernier acte, que Harry Rawlings est toujours vivant, constitue un modèle de twist à la con, tendance Sex Crimes (les trentenaires verrons), au milieu d’une intrigue globalement très prévisible – comble de l'ironie. Premièrement, il n’apporte RIEN au sujet premier, qui est l’émancipation des femmes. Deuxièmement, ce twist transforme le personnage en ordure caricaturale, comme suggéré plus haut, puisqu’à la fin, il est quand même prêt à zigouiller son épouse, la mère de son défunt fils. L'émancipation des femmes ne requiert pas que les hommes dont elles s'« émancipent » (l'esprit conservateur qui écrit ces lignes insiste bien sur les guillemets...) soient tous des salauds ; au contraire, cela ne fait que la dévaloriser en l'associant à un univers manichéen : les femmes ne doivent pas s'émanciper pour leur épanouissement, mais parce qu'elles sont bonnes et que leurs hommes sont mauvais. Par ailleurs, l'hostilité de Rawlings vis-à-vis de Veronica ne cadre pas avec le fait qu’il lui a laissé son précieux carnet, indiquant qu'il se souciait toujours de son bien-être. Ce revirement grotesque fait ressembler Widows à une vulgaire série B en désacralisant la seule relation homme-femme qui ressemblait à quelque chose. Troisièmement, ce n’est pas non plus logique d’un point de vue pratique : pourquoi Rawlings quitterait sa femme et orchestrerait la mort de ses coéquipiers de longue date pour un million de dollars quand il avait le projet de voler cinq millions au politicard qui l’a engagé ? Le coup du deuil impossible et du bébé avec une autre nana n’est pas convaincant. Pour finir, ça manque de logique sous un troisième aspect : Rawlings, dont le fils innocent a été tué par deux flics de Chicago, n'aurait donc vu aucun problème à collaborer avec cette engeance ?


Mais euh, Widows se plante, donc ?


Alors, attention, Steve McQueen reste un excellent réalisateur, dont on ne manquera pas d'aller voir le prochain film en salle... en espérant simplement qu'il ne prendra pas cinq années supplémentaires pour pondre une nouvelle déception. Il suffit de voir l’ouverture, où sont édités en parallèle de brefs aperçus de la vie des héroïnes avant la mort de leurs maris et la nuit où ces derniers ont trouvé la mort, parmi les premières minutes les plus efficaces de mémoire récente. Il suffit d'apprécier ce choix très malin de filmer un échange aussi long qu’anecdotique entre Mulligan et son assistante de l’EXTÉRIEUR de leur voiture, en un seul plan, la caméra rivée au capot, pour donner au spectateur une idée du monde qui sépare le quartier pauvre à majorité noire, où démarre la scène, du quartier aisé des Mulligan, où elle se termine. Widows est, en plusieurs endroits, de l'artisanat de qualité.


Mais seulement en ces endroits. Car l'art de la narration est un artisanat, et sur ce plan, Widows échoue tristement avec un scénario décousu, inutilement compliqué, parsemé d'incohérences et de facilités, et manquant de personnages de qualité. Avec Widows, le réalisateur apporte son inattendue contribution au gigantesque réservoir de films hollywoodiens dont le fond n’est pas à la hauteur de la forme. On pourrait ainsi dire que la plus grande déception ne vient pas tant de McQueen que de Gillian Flynn... parce que Gone Girl, quand même ! Oui, le film de Fincher était un carton tant dans la forme que dans le fond. Mais les défenseurs de Widows qui répètent « Gone Girl, Gone Girl ! » à longueur d'éloges oublient un truc : le médiocrissime Dark Places, avec Charlize Theron. Dont elle n'a certes écrit que le roman, sans toucher à l'adaptation cinéma, mais qui était quand même SI mauvais que l'on peine à la disculper intégralement.


Certains avanceront le portrait sociopolitique de l’Amérique actuelle comme argument en faveur du film. « Ok, le casse est faiblard, l’intrigue a ses ratés, et les personnages sont un peu bâclés, mais t’as vu cette critique poignante des injustices du système capitaliste et tout plein d'autres mots compliqués »? Tout d’abord, on peut tout aussi bien arguer que ces velléités intellectuelles font plus partie du problème qu’autre chose : si Widows s’était concentré sur son trio (quatuor…) de femmes sans essayer de pisser plus haut, peut-être aurait-il moins perdu le fil. Ensuite, si vous voulez une radioscopie de l’échec social de la démocratie libérale à l’ère de la globalisation dans un cadre multiculturel, tournez-vous plutôt vers The Wire – en parlant de Stringer Bell ! Parce que, pour finir, que dit Widows de fascinant dans ce domaine, déjà ? Que les politiciens sont tous pourris ? Que les femmes sont sous-estimées dans cette oppressante société patriarcale ? Intérêt : zéro.


Faisons simple : avec un sujet comme celui de Widows, il y a d'un côté la voie Ocean’s 8, celle du gros entertainment hollywoodien qui tâche, sans aspérité, inoffensif, clinquant, généralement médiocre mais pas forcément (faut juste qu’il reste à sa place), et il y a de l'autre l’alternative « sérieuse », celle à laquelle aspiraient de toute évidence McQueen et Flynn, et que nous aurons tendance à préférer (tout en attendant d'elle un minimum d'humour). Pas de juste milieu. C'est pourquoi si l'on joue la carte du film à Oscars, il faut en avoir les moyens. TOUS les moyens. Or, Widows n'en a, tout au plus, que quelques uns. En somme, un triste coup d'épée dans l'eau.


Qui se prendrait presque un quatre plutôt qu'un cinq si son réalisateur était autre que Steve McQueen...

ScaarAlexander
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes sorties ciné 2018

Créée

le 2 déc. 2018

Critique lue 2.3K fois

27 j'aime

12 commentaires

Scaar_Alexander

Écrit par

Critique lue 2.3K fois

27
12

D'autres avis sur Les Veuves

Les Veuves
CrèmeFuckingBrûlée
8

Entre deux mondes

Les Veuves de Steve McQueen commence dans un sursaut. Le premier plan est pourtant calme, paisible, blanc, aimant mais il se voit contrasté en quelques secondes par de bruyants coups de feu, par une...

le 2 déc. 2018

33 j'aime

18

Les Veuves
LeTigre
8

Quatre femmes innocentes mais prêtes à tout pour survivre !

Avant d’avoir assisté à une première projection de la réalisation Les Veuves du fameux réalisateur Steve McQueen, je ne savais pas grand-chose sur la carrière de ce cinéaste populaire, je n'avais...

le 22 nov. 2018

30 j'aime

20

Les Veuves
ScaarAlexander
5

15% polar, 85% féministe

Avant-propos : En début d’année 2018 est sorti en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. J’y suis allé avec la candeur du pop-corneur amateur de cinéma dit « de genre », et confiant en le...

le 2 déc. 2018

27 j'aime

12

Du même critique

The Guard
ScaarAlexander
7

"Are you a soldier, or a female soldier ?"

[Petite précision avant lecture : si l'auteur de ces lignes n'est pas exactement fan de la politique étrangère de l'Oncle Sam, il ne condamnera pas de son sofa les mauvais traitements d'enfoirés plus...

le 18 oct. 2014

35 j'aime

5

C'est la fin
ScaarAlexander
2

Ah ça c'est clair, c'est la fin.

Il y a des projets cinématographiques face auxquels tu ne cesses de te répéter « Naaaan, ça va le faire », sans jamais en être vraiment convaincu. This is The End est un de ces films. Pourquoi ça...

le 15 sept. 2013

33 j'aime

9

Les Veuves
ScaarAlexander
5

15% polar, 85% féministe

Avant-propos : En début d’année 2018 est sorti en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. J’y suis allé avec la candeur du pop-corneur amateur de cinéma dit « de genre », et confiant en le...

le 2 déc. 2018

27 j'aime

12