Quand on prend J.J. Abrams pour reprendre une licence, la seule chose dont on puisse être certain, c’est qu’on ne prend pas de risque. Pas de risque de déroute, c’est vrai, car l’homme est consciencieux en même temps qu’il est consensuel certes. Mais malheureusement aussi, pas de risque de chef d’œuvre non plus, car il n’y a pas plus impersonnel et conformiste qu’un film de cet auteur là. Bon bah pour le coup c’est Mickey, le producteur du film, qui a dû être content car, effectivement – je peux désormais le confirmer personnellement – « Star Wars VII » ne réserve absolument AUCUNE surprise. Et pourtant – comme souvent avec Abrams – je dois reconnaitre que le début m’a (encore) laissé y croire. Il y a dans ce début un vrai respect de l’esthétique de la trilogie initiale, à la fois dans la narration, les effets visuels et la réalisation très sobres, mais malgré tout il y a eu un véritable effort pour adapter tout cet ensemble aux exigences du cinéma de son temps. Pour le coup, cette dimension est vraiment d’une grande réussite. Abrams renoue dès le départ avec cet aspect rétrofuturiste bien physique de la première trilogie, abandonnant les bouillasseries numériques de l’ère Episode One, tandis que l’écriture de Lawrence s’efforce elle de son côté à faire de cette nouvelle intrigue un complément qui équilibre l’ensemble de la saga, trouvant même une sorte de progression logique dans la répétition de ce schéma narratif archi convenu. C’est vraiment du ni trop, ni trop peu. Il y a des bestioles et des robots qui couinent parce que c’est « Star Wars » mais pas trop ; on nous montre pleins de jolis vaisseaux et de nouveaux personnages qu’on veut ancrer dans le panthéon iconique de la saga, mais pas trop ; on accomplit le taf de fan service en ressortant beaucoup d’éléments des précédentes trilogies (mais surtout de la vraie bonne trilogie), mais là aussi, encore une fois, ce n’est pas le cœur de toute l’intrigue et donc ça marche très bien. Pour le coup donc, « Star Wars VII » réussit à échapper à l’écueil dans lequel les récents « Terminator Genisys » et « Jurassic World » se sont méchamment plantés. D’ailleurs, sur les vingt à trente premières minutes, j’étais même à deux doigts de préparer mon Mea Culpa en sortant de la salle. Les premières scènes sur Jabbu sont tellement équilibrées sur tout ce qu’on peut attendre d’une suite de « Star Wars » ( Ah ces épaves de croiseurs et de quadripodes qui jonchent ce monde désertique ! Ah ce Faucon Millenium qu’on retrouve au milieu de nulle part, truffé de détails qui font références à l’épisode IV ! Ah ces bruits de TIE Fighters, tirs lasers et autres couinements de droïdes tellement légendaires désormais ), bref c’était tellement soigné que je ne pouvais que me dire au fond de moi : « Qu’importe si la suite n’a pas vraiment de fond, je dois bien reconnaître que ce seul effort là suffit pour prendre mon pied. » Et pourtant… Bah et pourtant, le temps s’égrainant, la vérité des films d’Abrams a malheureusement fini par me rattraper. Moi qui commençais à me dire que, finalement, il était peut-être absurde de redouter un auteur lisse dans une saga qui, en fin de compte, n’a jamais brillée pour la profondeur de ses personnages et de ses intrigues, voilà que les deux derniers tiers du film sont venus me démontrer le contraire. Parce qu’après tout, la magie des premiers « Star Wars » se limitait-elle vraiment qu’à son charme rétrofuturiste, qu’à sa capacité à mélanger les codes narratifs de l’épopée médiévale et l’univers hétéroclite du space opéra ? Eh bah pour ma part, non. J’avoue que, justement, ce qui donnait de l’âme à cet univers là, c’était cette mystique philosophique qui tournait autour de la force. Ce qui faisait de l’épopée de Luke Skywalker quelque-chose qui allait au-delà de la simple croisade d’un chevalier parti terrasser le dragon qui effrayait et dévastait tous les villages du royaume, c’était ce schéma assez classique du monomythe, celle de ce héros qui, par son aventure, va se construire et se questionner lui-même sur ce qui fait justement la nature-même du héros. La compréhension de la force, et ses subtilités, étaient finalement au cœur de ce cheminement. Et là dedans, la figure faustienne de Vador se posait comme une possible destinée inévitable, celle des esprits naïfs pensant pouvoir maitriser un pouvoir qui les dépasse pourtant que trop grandement. Or, ce domaine là, « Star Wars VII » passe totalement à côté, ce qui le transforme rapidement en coquille vide. Alors oui, on pose à nouveau une nouvelle figure du jeune esprit qui s’ouvre à la force ; oui on nous sert aussi une nouvelle icône qui incarnerait cette perdition de l’esprit face au pouvoir de la force, et oui enfin – encore mieux même ! – on nous ressert des vieux maitres désabusés face à des échecs dont ils doutent parfois s’ils ne sont pas inéluctables. Bref, il y avait là tous les éléments pour compléter cette histoire en l’explorant encore davantage…


Seulement voilà, Lawrence Kasdan a beau être présent à l’écriture, dès que ces personnages parlent et se révèlent, ils trahissent toutes les fragilités des personnages issus de l’imagination d’Abrams : la vacuité. Qu’ils sont lisses ! Qu’ils peinent à incarner leurs dilemmes ! Bien, mal, lumière, obscurité… Qu’est-ce qui fait pencher d’un côté plutôt que de l’autre ? Qu’y a-t-il de tentant dans l’un et pas dans l’autre ? Qu’est-ce qui a fait que – malgré la victoire sur l’Empire et la redécouverte de la sagesse Jedi– certains se soient à nouveau laissés tentés par le côté obscur ? A AUCUN moment, le film ne se risque à aborder ces points. Et ce ne sont même pas des explications que j’attendais là, mais juste des sentiments ou des postures que j’aurais pu appréhender, saisir ou au moins questionner. Parce que bon, en occultant totalement cet aspect là de la mise en intrigue ; en ne voulant apporter aucun autre élément d’explication que « Luke s’est loupé dans sa formation, c’est triste » ; moi j’ai été obligé de me rabattre sur une approche ultra-binaire concernant les personnages. En gros, ça se limitait à un simple « bon bah lui il a rebasculé du côté obscur… bah parce que c’est comme ça. » Et le problème, c’est que tout le film repose sur ce postulat là : « c’est comme ça, parce que c’est comme ça… » Dans le carton d’introduction de ce film on nous dit par exemple que – c’est vraiment pas de pot – la force obscure a resurgi dans la galaxie ; que – pas de pot non plus – l’Empire est plus ou moins de retour ; et que – mais décidément quel manque de pot – tout est revenu au même état qu’au début de l’épisode IV. Bon alors, pourquoi pas. C’est vrai que c’est intrigant. Mais – quand même ! – qu’on reconnaisse au moins que, puisque ce film est une suite, qu’une telle amorce d’intrigue suscite quelques questions du genre : comment ça se fait que le côté obscur ait ressurgi comme ça d’un coup, en seulement quelques années, alors qu’il avait fallu attendre plusieurs millénaires d’endormissement de la République pour les Siths puissent à nouveau resurgir ? Et puis aussi, tout bêtement, d’où sortent ces nouveaux croiseurs impériaux tout neufs ?


(Et puis bon, si je suis là logique du film, cet essor ne date pas d’hier : former les nouveaux Storm Troopers depuis la naissance et construire une nouvelle über-étoile-noire, ça ne se fait pas en seulement quelques années )


Face à tant de questions, la moindre des choses, ça aurait été au moins de laisser des pistes de réflexion pour ENTRETENIR le mystère. Mais non, rien. Donc, faute d’avoir des éléments pour questionner l’univers qui nous est proposé, eh bien on fait comme les personnages : on est contraint de se dire « bon bah visiblement, c’est comme ça, parce que c’est comme ça. » Ainsi, le film a beau être formellement très réussi sur pas mal d’aspects, au final, j’ai quand même fini par le regarder d’un œil distant. Assistant à une guerre dont j’ignorais les enjeux ; suivant des personnages dont j’ignorais les motivations et les dilemmes intérieurs ; je n’ai fait au final qu’observer un spectacle désespérément hermétique, qui s’est rapidement réduit à mes yeux qu’à une simple reprise du schéma narratif des épisodes précédents, sans suspens et surtout sans surprise. La démarche d’Abrams est tellement intellectualisée, prévisible et surtout désincarnée que chaque scène qui arrive est téléphonée des minutes à l’avance. Ç’en est tellement prévisible et lisse dans le traitement que même les scènes qui auraient dû être fortes et osées m’ont laissé l’encéphalogramme plat


(Je pense notamment à la mort de Han Solo, tué par un fils en carton qui rappelle un Hayden Christensen des mauvais jours. Quel gâchis cette scène ).


Alors, faute de pouvoir m’émouvoir pour qui que ce soit ni pour quoi que ce soit, je me suis donc replié sur les quelques plaisirs qui avaient été sauvés du début : jolis cadres, fan service, retour des anciens… Après tout c’est toujours ça, pourrait-on se dire. Parce que oui, en fin de compte, quand je suis sorti, je n’ai pu m’empêcher d’être déçu mais aussi satisfait en même temps. Déçu, parce que c’est triste de se dire qu’une aussi belle saga n’a finalement eu droit qu’à un prolongement sage et scolaire, seulement joli mais pas émouvant. Mais satisfait aussi parce que, d’un autre côté, quand je repense à Episode One, je me dis qu’il y a clairement pire que de subir un film « seulement joli ». Parfois, aller voir la suite d’une saga qui nous a marqué, ça peut tout simplement se finir en viol d’enfance caractérisé. Pour cet Episode VII ce ne fut pas le cas et, après tout, c’est déjà ça d’acquis. Certes ça n’apporte rien, mais ça ne retire rien non plus. La sécurité Abrams quoi... Certains s’en contenteront… Après tout pourquoi pas… Au moins ne pourra-t-on pas en vouloir à Mickey de ne pas nous avoir prévenus. Depuis qu’Abrams a été choisi sur ce projet, je pense qu’on savait déjà tous le film qu’on allait voir. « Star Wars VII » pourra au moins se vanter de ce mérite là. Vous voilà donc prévenus si ce n’était pas déjà le cas…

TomP
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le 17 déc. 2015

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TomP

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