Nous sommes dans une époque où le marketing est roi.


Il y a 40 ans, le marketing vendait un produit, un candidat aux élections, un film. Aujourd'hui, le marketing conçoit le produit, décide du programme, choisit le candidat, et écrit le film. C'est un changement majeur dans les processus de décision.


Star Wars VII n'est pas un cas isolé mais est assez typique de ce nouvel ordre des choses. Il ne procède pas de la vision d'un réalisateur ou d'un scénariste, mais bien du rachat de Lucasfilm par Disney le 30 Octobre 2012. Dès lors, le constat est indéniable : les choix de marketing ont prévalu sur les autres.


D'abord, situer l'intrigue 32 ans après celle du Retour du Jedi a pour principal intérêt de rembaucher Harrison Ford, Carrie Fisher et Mark Hamill, évitant ainsi de perdre le public (à la foi les fans qui apprécient de revoir ces 3 acteurs, et les moins fans qui peuvent se raccrocher à des personnages même si l'univers des films leur parlent moins) et inscrivant durablement dans la saga un film dont la légitimité ne coulait pas de source.


Poursuivons notre processus de création : il faut de nouveaux protagonistes pour assurer la relève. Ce seront une fille et un noir. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : c'est très bien ! Seulement il ne faut pas croire au hasard ou à un quelconque engagement politique : c'est avant tout une stratégie visant à élargir le public-cible et à adapter la saga Star Wars à un contexte idéologique nouveau. Ce qui était acceptable dans les années 1980 ne l'est plus aujourd'hui.


Une fois le cadre planté, on détermine ce que contiendra le film. Il faut de la continuité : on remet des sabres lasers, la Force, des races étranges, R2D2, C3PO et le Faucon Millenium. Il faut aussi de la nouveauté, mais dans la continuité : de nouvelles planètes, une nouvelle taverne avec un nouveau groupe d'aliens qui jouent une musique différente, un sabre à garde laser. Il faut des trucs qu'on pourra décliner en merchandising : BB8, un nouveau casque de méchant, un nouveau design de casques de stormtroopers.


Ensuite, vient la construction du scénario. Il faut intégrer les contraintes citées plus haut, mais aussi bâtir le film pour qu'il ne dénote pas dans la gamme Star Wars : une quête initiatique sur fond de lutte entre les côtés obscur et lumineux de la Force, c'est parfait. Il faut aussi des moments iconiques (voir cette courte vidéo de Gareth Edwards commentée par le Nerdwriter) qui viendront alimenter la bande annonce, et un gros truc à spoiler pour marquer les esprits et faire parler au moment de la sortie.


Et le pire dans tout ça, c'est que le film n'est pas si mal ! Bien sûr, on peut lui trouver deux gros défauts (déjà longuement discourus par ailleurs), en partie imputables à sa méthode de conception :
- il n'apporte pas beaucoup à l'univers et sonne comme un remake du IV, parce qu'on a voulu prendre des risques minimaux étant donné les sommes en jeu (rachat de Lucasfilm + production : Disney ne pouvait pas se permettre un bide)
- il a également une gestion un peu amateure du temps et de l'espace. Les exemples sont nombreux : dans la vraie vie, quand tu te crashes au milieu du désert du Sahara (sans même parler d'une planète entièrement désertique) tu ne trouves pas une ville en marchant au hasard. Et ne parlons pas des coïncidences bien utiles qui sont de toute façon devenues monnaie courante dans ce genre de films, ni de la nécessité d'une "Résistance" contre un "Premier Ordre" dans une "République". C'est simplement le résultat d'une focalisation sur des moments forts et sur le rythme du film au dépens de la cohérence du scénario.


Mais pour le reste, les producteurs ont su faire appel à une équipe talentueuse pour réaliser le film, JJ Abrams (qui s'est un peu relâché sur les lens flares), John Williams qui nous livre une superbe partition (le thème de Rey+++) et surtout les équipes en charge de la photographie, des décors et des effets visuels qui ont fait un travail admirable pour capter le grain de l'image Star Wars tout en la réactualisant. C'est pour ça que je pardonne : en plus des bons moments passés devant sa sortie (j'étais alors en Nouvelle-Zélande, ce qui rend le moment assez spécial pour moi mais à la limite vous vous en foutez) et en le revoyant récemment, je suis vraiment en admiration devant certains plans, notamment les épaves dans le désert sur Jakku, le temple aux guirlandes bariolées sur Takodana ou encore la scène finale.


Au final, il faut bien se rendre compte que c'est aussi grâce à cette prévalence du marketing que Le Réveil de la Force apparaît comme réussi par rapport à une prélogie qui souffrait d'autres défauts mais qui n'avait pas aussi bien compris son "cœur de cible". Simplement, que veut-on, un Star Wars aventureux ou respectueux ? Les deux, c'est possible ? Parce que là, c'était sympa, mais on se souviendra peut-être plus des bandes annonces que du film lui-même...


PS : Cette critique est issue d'une enquête exclusive de 5 ans dans les studios hollywoodiens. Ne tentez pas ça chez vous.


PPS : Merci à l'inénarrable Gothic pour ce titre salvateur par des temps mal inspirés !

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le 28 mars 2017

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Nordkapp

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