Un film c'est comme une drogue : l'exemple avec Spring Breakers.

On m'avait (les publicitaires) montré dans la bande annonce ces parodies d'adolescentes de Walt Disney en bikini avec un espèce de gangsta cliché, bref un film à rater absolument. On m'avait (les critiques du site) ensuite fait l'éloge de ce film, rassemblant à Drive, mais en plus critique saisissante de l'American Dream. Finalement, j'ai terminé subjugué par ce film à l'ambiance de dingue absolument énivrante, un véritable chef d’œuvre, et je me suis dit : quel coup de maître d'Harmony Korine, de donner une image du film totalement fausse avec ces bandes annonces, ces demoiselles de chez Disney Channel, pour attirer les pervers et groupies, et ensuite leur en mettre plein la gueule avec cette bombe. A la sortie du film, la moitié a applaudi, l'autre est sortie outrée.

Le film démarre sans détour avec une scène de près de deux minutes sur ce qu'on appelle les Spring Breaks : des rassemblements de milliers de jeunes faisant la fête sans interdits en Floride. Dès le départ on sait où on est, on est prévenus : le film sera trash et sans interdits, lui aussi.
Par la suite, s'installe une ambiance : une esthétique irréprochable, un film aux couleurs fluos sur fond noir qui me rappellent curieusement Drive et qui collent parfaitement au thème du film, un déroulement posé et lent, avec peu de dialogues, mais des dialogues efficaces ; un bon nombre de scènes géniales (pour ne pas dire tout le film) : la scène du braquage suivi depuis la voiture, celle où une des filles raconte le braquage à sa copine, la scène d'Alien jouant du Britney Spears, pour ne parler que de celles-là.
Mais Spring Breakers c'est aussi autre chose, une œuvre qui s'analyse, qui s'interprète. On peut sentir une critique de ces rassemblements, l'exacerbation de la face cachée du rêve américain ("This is the american dream, yo") tout au long du film, ce qui sera évident pour ceux qui l'ont vu. Néanmoins j'ai senti par moment des contradictions, ce qui m'a semblé être des incohérences, où des non-dits qui me sont apparus comme le discours inverse de la critique faite auparavant : [spoiler] je pense notamment à la fin, pleine d'incohérences, et qui laisse les deux jeunes filles s'en sortir impunément, disant elles-mêmes avoir fait des "expériences" leur ayant permis de se découvrir en tant que personne.[/spoiler]. Et puis même, le film étant très lent et très économe en terme de paroles, jamais une critique franche n'est formulée, tout n'est que suggéré, avec des scènes "trash" laissant le spectateur devant le fait accompli, à devoir se débrouiller avec ça. A la sortie du film je ne savais pas quoi penser au final, et j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois avant de pouvoir dégager une morale, un message de fond, et accessoirement de noter le film.
Au final, Korine nous livre un film relatant la décadence de la nouvelle génération étasunienne, le mal causé par le manque d'identité de ses individus, et par la même le mal de la société capitaliste dans laquelle nous sommes. Les personnages du film souffrent tous d'une ambivalence qui peut passer pour une série de contradictions : [spoiler]Faith est croyante mais participe avec le même entrain que les autres à ces partouzes publiques : les autres filles ne savent pas sur quel pied danser, entre vivre avec Alien, se débarrasser de lui (la scène où elles le menacent avec ses flingues est géniale et montre bien cette ambivalence) ou retourner à leurs études (elles y retournent finalement du jour au lendemain), même Alien passe du dealer plutôt flippant au mec sensible et émouvant (chapeau James Franco)[/spoiler]. On a pas seulement une recherche d'identité des quelques adolescents débauchés, mais d'un système tout entier qui part en couille. Et le spectateur assiste, à la fois enivré, impuissant et bouchée bée, à ce spectacle.

Pour finir, reconversion réussie pour Vanessa Hudgens et Selena Gomez, qui, je l'espère en voyant leurs performances d'actrice dans ce film, auront une belle carrière devant elle. Un film à voir absolument, de façon certaine dans mon top 20.

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le 9 mars 2013

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Armadeon

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