(J'avais à l'origine prévu d'appeler cette critique "Sick duck", mais j'ai finalement choisi ce titre, qui me semble doublement approprié)

Pour cette septième (et ultime) vision en salle, au diable les croyances et idées reçues, ça ne m'aura pas porté chance, j'avais la bêtise-en-chaleur incarnée assise juste derrière moi, un groupe de 15 qui proféraient des "salooope..." à chaque bite dessinée sur un cahier, et autre "ah l'bâtaaard" à chaque threesome aquatique, quelle séance ! Et en VF ! (pas le choix) Mais ça ne m'empêchera pas d'écrire un petit quelque chose. J'allais commencer cette critique par une réponse aux attaques re(re)dites sur le film, mais bof, d'autres s'en sont chargés ou s'en chargeront mieux que moi, et puis on s'en fout, alors place au film.

Etant un produit de fac de lettres, il me reste un peu de cette habitude de structurer mon avis selon plusieurs grandes parties (ou aspects) que j'ai pu faire ressortir de l'oeuvre. Par flemme, je vais réutiliser partiellement cette technique, avec des parties qu'on pourrait appeler sobrement : "Amazones, le jeu vidéo", "Imagerie fantastique et mythologie" et "Bien vs Mal, Faust, etc".

Je pense que quiconque suit un peu l'actualité ou allume de temps à autre sa télé s'en est rendu compte. Il est dans l'air/ère du temps de revendiquer et d'exposer une femme (sur)puissante, un prototype d'amazone moderne. On le voit de plus en plus au fil des mois dans les médias, que ce soit au travers de groupes féministes (ou féministes-extrêmistes, sans exagération, quand on voit les Pussy Riot en Russie ou les Femen par chez nous, revendiquant une libération de la femme à grands coups de poulet dans la matrice et de bombe lacrymo-blasphématoires), ou encore par le biais d'émissions diverses ayant pour sujet de débat : "Je suis une femme trentenaire, libre et célibataire, pas besoin d'un boulet dans ma vie", ou autre atteinte du genre à la Géométrie et à la Théologie. Cela est souligné dans le film par les phrases répétées telles que : "On a peur de rien. Faut être dur !", ainsi que, évidemment, l'usage de leur cagoule. Nul doute que Harmony Korine s'est inspiré de ces guerrières (au moins des Pussy Riot) pour ses personnages. Où il eut été facile de simplement pointer du doigt ces idiotes (comme ont pu l'affirmer des critiques comme P. Murat) pour les "mépriser", Korine rend nos diablesses, malgré leurs bêtises, attachantes, et surtout leur accorde la rédemption. L'appel adressé à leur mère à la fin du film, juste avant l'assaut final, sonne davantage comme un appel d'adieu que comme quelqu'un donnant simplement des nouvelles : elles ne sont pas sûres de se tirer vivantes de cette nuit-là, et c'est là qu'un retour à la réalité se fait pour Brit et Candy, qui contrairement à Faith et Cotty, tardent à recevoir cet impact du retour au réel (il aura fallu qu'elles se rapprochent vraiment de la mort), leurs deux amies ayant été plus sages - bon, il y en a une qui a quand même attendu de se prendre une balle.

Dans une interview, le réalisateur nous apprend qu'il a voulu le film comme une expérience sensorielle, presque comme un trip sous acide (pour ceux qui prétendent en avoir déjà pris, ce qui n'est pas mon cas). Dans une autre interview, chose que je trouve plus intéressante, il nous dit avoir voulu faire du film une expérience pour le spectateur proche de celle vécue par un joueur devant un jeu vidéo. Vous savez bien l'attraction que peut provoquer un jeu : assis, les coudes sur les genoux, les pouces sur les manettes, la tête penchée vers la télé, au plus proche d'elle, happée, concentrée. Mais plus que le fait d'être happé par une oeuvre envoûtante, c'est aussi la construction de l'intrigue, des lieux et de l'esprit des demoiselles qui semble faire écho au média du jeu vidéo, et qui m'a particulièrement intéressé. Cela commence explicitement, par Brit motivant ses amies : "On n'a qu'à faire comme si c'était un jeu vidéo." C'est dans cet esprit de virtualité qu'elles effectueront leur voyage (la fameuse image de Faith dans la piscine : "Si on pouvait juste... cliquer, figer l'écran..." s'inscrit dans cet aspect virtuel). Le thème de la "déconnexion de la réalité" revient souvent, de façon cachée ou plus explicite. Au début de leur voyage, on entend en voix off l'appel de Faith à sa grand-mère, où elle finit par : "On dirait que le monde est parfait ! Que ça ne s'arrêtera jamais." Cette idée est remise en avant dans la scène de la piscine (la première) où elles se mettent à rêver à l'achat d'une maison en Floride : faire la fête à tout jamais, jusqu'à la fin, l'excès et la lassitude n'existant pas, et peut-être même qu'après la vie, ce sera la fête aussi. "Fuck time. Young forever." comme dirait l'autre. Whiskycocamacdoheinekenbeurp redbullvodkacapsburp kebabaerophagie. Elles ont beau se définir comme des gangsta encagoulées, elles n'en gardent pas moins un Petit Poney cousu dessus. Tout ça n'est qu'un jeu pour pallier à l'ennui, qui ne se terminera que quand le boss ultime n'aura plus de HP. Alors voilà-t-il pas nos deux Mario et Luigi partis chasser Bowser dans son château rose-violet-fluo, mais pour n'y sauver aucune princesse. Ce niveau final a en effet tout d'un jeu vidéo : progression par lieux-étapes (le ponton - l'entrée - la terrasse - le "château" de la fin), couleurs fluo surnaturelles, ambiance onirique, ennemis placés comme il faut (sur le petit pont pour mieux tomber dans l'eau), partie en co-op, et même la récompense / level up / upgrade finale : la voiture d'Archie pour rentrer à la maison.

Les couleurs et la lumière étranges du film ne sont pas les seules à donner à l'oeuvre cet aspect onirique, irréaliste. Au niveau de certains plans, c'est tout une imagerie fantastique, mythologique et poétique qui est mise en oeuvre. Cela commence dès l'écran titre, avec cette surprenante police d'écriture utilisée, un véritable "rêve océanique" ( http://uk.phaidon.com/agenda/design/articles/2013/april/10/spring-breakers-title-sequence-is-a-marine-dream/ ). Un paradis d'animaux aquatiques, lumineux, aux positions grâcieuses et harmonieuses, le tout clignotant légèrement comme un panneau publicitaire. Le paradis enfin accessible. Le film comporte plusieurs images qui semblent résonner et faire écho à tout un monde de récits fantastiques et mythologiques. La lumière et la couleur sont souvent très représentatives de l'ambiance et du contexte, ainsi que les gestes et positions des protagonistes, par exemple : Faith surprise de voir autant d'argent sur le lit, ne sachant pas d'où il vient, puis tirant sur un bang sous l'influence maléfique de trois sorcières aux rires malsains dans leur tanière rouge. Faith, encore, attirée par trois muses ou sirènes démoniaques, l'incitant à devenir une gangsta pour avoir tout ce qu'elle désire, en l'ensorcellant, leurs doigts crochus dans ses cheveux. Il y a aussi ces images-éclairs qui font écho à différents personnages mythologiques, même si cela relève davantage du "délire interprétatif" et qu'on m'accusera de faire de la branlette, mais tant pis, je m'en branle : une des deux diablesses, à l'arrière du pick-up, faisant tinter son marteau dans sa main pleine de bagues, comme ferait Thor ou n'importe quel chef viking, prêt au combat. Ou encore, lors de l'appel de Faith à sa mamie, quand Brit et Candy, dans la lumière rouge d'un trottoir, font des doigts aux conducteurs qui passent et que, pendant un bref instant, l'une étant parfaitement positionnée derrière l'autre, et leurs bras brandis n'étant pas à la même hauteur, pendant deux secondes se forme sous nos yeux une créature à quatre bras, Ganesha rouge. Ou le tonnerre qui gronde, aussi sinistre et funeste que dans Macbeth, augurant la perte du niveau final, qu'on entend bien à l'avance, grondant doucement mais bien présent, pendant qu'Alien se répète qu'il n'est qu'une baltringue et que son regard se fait de plus en plus inquiet. Ou Faith la sirène rêveuse aux cheveux déployés dont le royaume aquatique ne la protège pas des humaines aux rêves enterrés qui l'attendent à la surface. Ou bien même (et je m'arrête là pour les comparaisons osées), après que notre ménage à trois ait batifolé dans l'eau, le plan de ce couple improbable, de dos, les pieds dans l'eau mauve : deux nymphes et leur Thamyris attendent toute la nuit autour d'un lac violet, avec une patience nocturne excédant celle des statues et des chats. Aaahhh !!! J'arrête.

"They're trying too hard"

Voilà un commentaire que j'ai vu sur youtube, sur la vidéo de la bande-annonce du film, qui faisait référence au jeu des actrices qui, d'après lui, manquait de naturel, qu'elles en faisaient trop. Même si je ne suis pas d'accord avec ça, je trouve ce commentaire intéressant car, une fois retourné, il montre un véritable aspect du film : ces personnages - et pas uniquement les filles, mais Alien aussi - en font trop pour faire comme si ils s'amusaient, comme si ce monde leur correspondait. En particulier pour Faith. Elle est, d'après moi, en dehors du groupe, elle est la plus faible et la plus fragile quand il s'agit de résister sans craquer à cet univers bruyant, vulgaire, malsain. Elle fait l'objet de moqueries, de taquineries (même si elles restent gentilles). Elle ne fait pas partie du groupe comme les autres : elle se fait réveiller par les trois autres au début ; elle reste exclue de toute la mission braquage, que ce soit pour ses préparatifs ou son exécution ; et quand elle essaye de se montrer parfaitement adaptée et intéressée par cet univers, sa métaphore virtuelle ("click things ! and go to church together ! and pray !") fait l'objet de moqueries dans la piscine. Et ne parlons même pas de l'épisode où elle se fait violemment raconter le déroulement du braquage par les trois sorcières. Voilà pourquoi elle est la première à craquer et la première à partir. Après tout ça, après avoir vu partir la fragile Faith et avoir rencontré l'influent Alien, je me suis demandé si Korine ne nous racontait pas l'influence du Mal sur le Bien par la tentation. Après tout, comme le dit le pasteur de jeunesse, "Il nous dit que pour chaque tentation, il nous donne le moyen d'en sortir." (how cool is that ?). On aurait donc d'un côté, Faith la pure, de l'autre Alien le démon, et attirées vers lui, nos trois diablesses qui s'ennuient. Alien en Méphistophélès qui les sort de prison ? Cette vision des choses ne me convainc que moyennement en réalité, tant il y a des éléments qui viennent la contredire, ou du moins la rendre douteuse. Par exemple, je trouve Alien peu crédible en Satan : le voir se vanter de ses caleçons et parfums de marque, le voir sauter sur son lit avec ses armes comme ferait un enfant avec ses jouets, et puis Scarface "on repeat, constant y'all", c'est définitivement trop. Si James Franco a été choisi pour ce rôle, ce n'est certainement pas pour rien ! Il n'y a que lui qui peut jouer un mec qui se prend au sérieux et d'où ressort tout le risible, et ce sans en faire des tonnes. Non mais regardez-moi ce gangsta ! Regardez ce combat de regard avec Archie dans la boîte, quoi de plus drôle ? comme il fait sombre dans la boîte, on voit Alien lutter pour accrocher le regard de son adversaire, ce qui rend la scène encore plus cocasse. D'autant plus qu'il se fait mettre à genoux sur son lit par Mario et Luigi armés de gros flingues, il semble plus docile que réellement démoniaque. Et puis à peine a-t-il posé un pied sur le ponton du niveau final qu'il se fait shooter, pris dans ses rêveries... Alors qui joue Satan ? Brit et Candy ? Là aussi j'en doute. Même si elles semblent les plus dérangées de la bande, leur repentir téléphonique semble sincère (même si c'est peut-être comme quand on disait à nos mères en sortant d'une réunion parents-profs : "J'ai bien l'intention de donner... un coup de collier !"). D'où mes réticences pour cette interprétation Bien vs Mal. Je ne pense qu'il y ait un Satan prédéfini dans ce scénario. J'y vois davantage quelques filles déconnectées, qui s'ennuyaient beaucoup et qui ont rencontré une petite racaille rêvant d'être Tony Montana, qui forment un couple étrange dont le destin me plonge dans la plus grande mélancolie :-(

Je survole le montage, je suis si fatigué, de toutes façons mieux vaut l'observer attentivement soi-même, et le montage sonore pareil, je ne vais pas revenir sur le tonnerre lointain, sur les souffles nébuleux accompagnant une taff de joint, etc etc, et de même pour la musique, Skrillex c'est peut-être pas terrible en soi, mais c'est ce qu'on écoute lors de ces soirées, et puis rendre du Skrillex aussi sympa, tellement en adéquation avec les images slo-mo parfaites, et sans oublier Young Neggaz de Gucci Mane (aka Archie) qui se déroule en même temps que nos démones entrent dans le monde d'Alien, comme pour suggérer la présence quasi-divine de Archie sur ce quartier qu'il possède (plus pour très longtemps).
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le 25 avr. 2013

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