David Cronenberg n'est pas un réalisateur facile à suivre, car il insuffle un non-rythme particulièrement éprouvant dans la plupart de ses films (à l'exception de la mouche, où la limpidité du scenar permet de rythmer le film via les évolutions de Jeff Goldblum).

Ici Spider réussit à trouver son rythme, grâce au dénouement progressif de l'enquête introspective du personnage de Ralp Fiennes "Spider", et donc à être un de ses films les plus convaincants.

D'abord, le film a un casting 5 étoiles. Ralph Fiennes est stupéfiant comme d'habitude, parce qu'il est saisissant dans ce rôle de fou autiste, il ne donne pas l'impression de jouer, mais littéralement d'incarner.
Ce qui est dingue avec cet acteur, c'est qu'il peut changer totalement de visage, d'expression au gré des films, apparaître doux et bienveillant (strange days, Quizz Show), comme horriblement instable, torturé et imprévisible (Spider donc, la liste de schindler, le patient anglais également où il joue un bon gros pourri mais qui parvient pourtant à cadrer avec une histoire éminemment romantique qu'il sauve de la mièvrerie).

Son personnage revient sur les lieux de son enfance, muni d'un carnet d'enquête, pour dénouer son passé familial et se rappeler de ses rapports avec son père et sa mère, et de son lent glissement vers la folie. On est donc durant tout le film dans sa propre perspective, et on va devoir affronter la "réalité" selon sa propre expertise de tordu.

Les père et mère sont joués là aussi par des acteurs de premier plan : Gabriel Byrne, la classe absolue, et Miranda Richardson, actrice impressionnante et trop méconnue qui trouve sûrement là l'un de ses plus beaux rôles, mais j'y reviendrai.
Et un revenant, le mythique Sherlock Holmes/Baron de Munchausen, John Neville, personnage mystérieux étant probablement le double du héros.

Ce qui m'a frappé dès les premières minutes du film, quand Fiennes arrive dans un pensionnat perdu dans un quartier industriel britannique particulièrement glauque (quartier où il a auparavant grandi donc), c'est la bande-son : il y a un grondement sourd permanent, comme si le monde que l'on découvre a en permanence la tête sous l'eau, et à la fenêtre de l'appartement de Fiennes on découvre une énorme structure métallique presque futuriste d'où émane ce bruit : on apprendra plus tard qu'il s'agit d'une usine à gaz

Et ces éléments alors que l'enquête n'a même pas commencé, sont déjà des indices cruciaux de résolution de l'intrigue! Génie de la mise en scène, et de la construction d'un univers mental hyper perturbant, mais à la fois simple et subtil, pas de maniérisme, pas d'artifice, travail sur le son donc, musique discrète (comme souvent dans le duo Shore/Cronenberg), une photo sublime, avec des plans essentiellement fixes et très travaillés.

Ensuite c'est une enquête dans la perspective subjective du fou assez géniale, Fiennes devient spectateur de son propre passé dans un procédé pas novateur mais astucieux : il est présent physiquement dans toutes les séquences de son passé, et se regarde lui-même enfant, comme ses parents. En fait ça n'est même pas un polar dans le sens où il crée lui-même ses propres indices, à la manière du metteur en scène, il en écrit les dialogues, les anticipe avant qu'ils ne soient dits par les personnages de ses souvenirs, parfois pourtant la réalité le dépasse, s'emballe et il court après les dialogues et les situations, les répétant après les personnages plutôt que les anticipant.

On voit bien que tous les éléments sont réunis pour faire perdre la tête au spectateur avec un langage codé incompréhensible, celui du fou (Il prend note de tous les évènements qu'il voit sur un carnet, sous forme de hiéroglyphes incompréhensibles), celui du metteur en scène ? (Cronenberg et son univers mental, ses obsessions, ses lubies, ses énigmes).

Et là une image me frappe, celle de Miranda Richardson (la mère donc) qui joue plusieurs personnages différents, et qui me rappelle irrémédiablement Lost Highway et Mulholland Drive de David Lynch. Et on est exactement dans le même type de logique comme si le film en était une suite, où rêves, délires, souvenirs faussés ou non par la subjectivité, se confondent, se mélangent, se perdent, et je comprends à ce moment-là que je vais être face à un film qui dans un premier temps me laissera vraisemblablement perplexe et qu'il faudra laisser mûrir progressivement.

Mais finalement non, parce que l'enquête du fou faussée par sa vision biaisée de la réalité, garde une certaine logique et finit par déboucher sur un déroulement finalement assez prévisible mais dont le traitement est diablement efficace et prenant.

Alors je ne vais pas rentrer dans les considérations psychologiques freudiennes (auxquelles je ne crois pas une seconde), qu'il s'agisse d'un portrait d'un complexe oedipien inversé, d'un trauma d'enfance qui poursuit son héros, il reste cinématographiquement un très beau film, et à mon sens un des films les plus réussis de Cronenberg qui m'a vraiment embarqué dans son ambiance hors-norme et austère.
KingRabbit

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7

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