Soul
7.4
Soul

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Kemp Powers (2020)

À tout vouloir expliquer, on bride l’imagination

Voilà un bout de temps que les productions Pixar ne m’enchantent plus. Ce n’est pas vraiment un rejet, surtout un désintérêt. Je les vois une fois et ça me suffit. Et si on m’invite à les revoir, je fais la gueule. En revanche j’aime toujours certains films (Toy Story, Wall-E, Ratatouille). C’est surtout les dernières productions qui me déçoivent : Vice-Versa, Coco, et maintenant Soul.


Je vois trop les intentions qui reposent sous le récit. J’ai l’impression que le studio a trop conscience de la posture qu’on lui prête : des films qui enseignent des thèmes d’adultes aux enfants. Et qu’il capitalise là-dessus, qu’il investit totalement cet espace pour correspondre exactement à cette définition. Plus que jamais, Pixar est le studio qui prend des sujets d’adultes (la mort, le destin, la psychologie) pour en faire des histoires rocambolesques, tire-larmes, toutes tournées vers un enseignement de vie.


Les films déroulent les mêmes procédés : les concepts les plus compliqués sont réduits à des architectures humaines (des sociétés, ou des entreprises) qui permettent d’expliquer l’inexplicable, de mettre du rationnel sur des concepts qui n’en sont pas. On entre dans le monde des morts, on entre dans le monde de la pensée, on entre dans la start-up de l’au-delà. Non seulement c’est une approche qui m’ennuie, j’ai l’impression de revoir les mêmes films. Mais c’est aussi une approche que je trouve un peu triste pour nos enfants. Elle a quelque chose d’anti-fantaisiste, de trop rationnel.


Et là c’est le jeune papa qui se prononce. Ce que je dis là, je n’en prends conscience que depuis peu de temps. Je dis que je n’ai pas envie de tout expliquer à ma fille. Je n’ai pas envie, pour lui expliquer la mort ou la psychanalyse, de passer par des images d’entreprise, de société, ou de logistique. C’est tuer dans l’œuf un imaginaire en train de se faire, en y injectant déjà le réel de nos vies d’adultes. Disons-le franchement, c’est une forme de conditionnement.


À ce propos, je rejoins totalement la critique de Blacky :


https://www.senscritique.com/film/Soul/critique/213456730


Ce qui me dérange aussi de plus en plus, pas seulement chez Pixar, mais dans l’animation occidentale, c’est que les films ne prennent plus leur temps. Tout doit s’enchainer très vite. S’il y a de la poésie, c’est toujours dans des temps-mort contrôlés, des parenthèse timées à la seconde près. Je suis certain que chez Pixar (mais aussi chez Dreamworks et chez d’autres), il y a dans leur pipe de production, une phase d’étude de scénario où on arrange la rythmique de l’histoire pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de flottements trop longs, et que l’enchainement soit le plus musical possible. (merci Christophe Voggler et sa vision merdique du cinéma).


Pour éviter ça, ou du moins pour ne pas montrer que ça à ma fille, je préfère me tourner vers d’autres productions. Les films Ghibli d’abord, qui m’apparaissent comme la réponse parfaite à tout ce que je viens de reprocher chez les américains. Car Chez Ghibli, on n’a pas peur des flottements. Au contraire, on les cultive. On peut passer des minutes à nous montrer des feuilles et des herbes au vent – ce que faisaient volontiers les premiers Disney, et qui est proscrit aujourd’hui. Chez Ghibli, on n’a pas peur non plus d’aller vers le bizarre, le freaky, de pousser jusqu’à la lisière de l’horreur, d’injecter du fantastique partout et de ne pas l’expliquer. On n’a pas peur d’envoyer des images étranges aux enfants, ni de parler de choses réelles sans les travestir, (je pense à Porco Rosso, Pompoko, ou encore Le Vent se lève). Et ça c’est beau.


Je peux aussi me tourner vers d’autres types de productions (souvent européennes) de plus en plus variées et qui choisissent de raconter des histoires autrement, de revenir vers une animation débridée. En vrac, dans les choses vues ou qui me font envie : Le Voyage de Maronna, Kirikou, Le tableau, Ernest et Célestine, Tout en haut du monde, ou le Alice de Svankmajer (me fait très envie lui).


Bref, ce long larmoiement pour dire que les gens de chez Pixar ne m’apparaissent plus comme les maîtres de l’animation. Ils le sont sur le plan technique uniquement, mais pas sur le reste. Je suis trop gêné par leur posture d’autorité, presque scolaire, que Soul cristallise totalement. Une posture qui est le reflet d’une Amérique trop sûre d’elle.


Ça ne m’enchante plus, ça ne m’attendrit plus.

-Alive-
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le 3 mai 2021

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