Soft & Quiet
6.2
Soft & Quiet

Film de Beth de Araújo (2022)

Dans la catégorie petite surprise Blumhouse sortie dans une trop relative discrétion, "Soft & Quiet" mérite clairement un coup de projecteur à la hauteur du malaise grandissant que suscite son visionnage !

Découvrant le résultat de son test de grossesse, Emily, une institutrice, fond en larmes dans les toilettes de son école. Alors qu'elle nous la montre en train de reprendre ses esprits tout en réajustant son allure de femme modèle, la caméra continue de la suivre pour nous révéler le regard dédaigneux qu'elle semble poser sur la concierge des lieux. Appuyée par le troublant échange qu'elle a ensuite avec un petit garçon, cette rapide liaison entre la situation intime d'Emily et sa méfiance envers cette travailleuse immigrée est déjà un élément fondamental de la direction vers laquelle nous entraîne ce premier film de Beth de Araújo.

Quelque chose se dissimule derrière le ton affable de cette institutrice visiblement estimée de sa communauté et, par l'intermédiaire de sa route tracée en un unique plan-séquence (enfin, qui fait mine de l'être), "Soft & Quiet" va nous guider vers la petite réunion de femmes qu'elle a elle-même organisé au sein de l'église des environs. Dans une ambiance bon enfant de club local où l'on s'imagine que tout ce petit monde se réunit pour échanger quelques potins, Emily déballe la tarte préparée par ses soins pour l'occasion... avec une croix gammée tracée en son centre.

Comme cette tarte où ce signe n'a pas sa place, comme la douceur et la solidarité féminine qui émanent de ce groupe en réalité uniquement réuni par sa détestation commune de l'étranger, comme la prestance de femme idéale d'Emily est une parfaite façade à l'expression du racisme qui bouillonne en elle, "Soft & Quiet" nous dévoile assez magistralement un point de vue trop souvent laissé sous silence de la haine qui ronge une Amérique désormais clivée par les extrêmes, où derrière les caricatures faciles de rednecks en treillis et armés jusqu'aux dents se cachent également des femmes blanches à la normalité confondante mais muées par ce même sentiment de rejet total envers la population immigrée.

Entre l'archétype de la desperate housewife à la vie terne, la jeune employée bridée professionnellement ou encore l'héritière d'idées familiales nauséabondes du KKK, le film a l'intelligence d'en proposer une large variété de visages et surtout de montrer, comme le suggérait notre introduction à Emily, que cette haine se nourrit avant tout de la condition et des frustrations propres à la personnalité de ces femmes, l'étranger en devenant un catalyseur irrationnel et donc une entrave à éliminer pour en guérir (le tout, on l'imagine sans mal, bien aidé par le discours de certains politiques).

Puis, au-delà des mots justement "softs and quiets" par lesquels ces femmes alimentent les étincelles de leur racisme en trouvant du réconfort dans la compréhension bienveillante de leurs camarades (déjà vite peu de choses face à l'ignominie de certaines remarques et gestes), le film va se transformer en une incroyable et soudaine escalade dans la monstruosité, guidée par un effet de meute dévastateur où les marqueurs sociaux de ces femmes vont s'effacer pour laisser placer à l'expression chorale du mal le plus abject. Cassant une à une les barrières qui contenaient jusqu'alors leurs vraies natures (certaines vont révéler une toute autre facette dans le feu de l'action), Beth de Araújo emmène ainsi ces femmes -en l'espace d'un simple après-midi grâce au format temps réel- vers la manifestation la plus primaire de leurs rancœurs, avec une violence dépassant celles des hommes pour rejoindre celle de la plus pure cruauté animale.

Même si la dernière partie est bien plus attendue par ce qu'elle entend apporter comme conclusion à ce déferlement de folie furieuse (et c'était évidemment nécessaire de finir sur un plan pareil), "Soft & Quiet" nous aura vraiment secoué par sa montée en puissance au coeur d'une rage raciste d'abord contenue en petit cercle puis libérée de ses gonds dans des proportions tout bonnement inhumaines. Par le biais d'un vrai film d'horreur, Beth de Araújo aura levé le voile sur un visage de l'ombre (et composante à part entière) de cette haine qui mine bon nombre de nos sociétés contemporaines afin de nous montrer que, derrière ses traits plus agréables que d'autres, il en a bien toutes les caractéristiques les plus terrifiantes.

RedArrow
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le 8 nov. 2022

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