Est-il possible de parler de quelqu'un sans ni le bonifier, ni lui porter préjudice ? Peut-on évoquer un être humain sans trahir au moins un des aspects de sa personne ? Il semble que l’âme humaine soit chose bien insaisissable. Alors, faire un portrait public sur une personnalité non moins publique est d’une ambition folle. Sans compter que, par-dessus le marché, Olivier Dahan veut cristalliser l’essence du siècle le plus complexe et le plus violent que l'humanité ait connu.


Ainsi naquit Simone, le voyage du siècle. S’il faut s’attarder sur la véracité du propos et des apports biographiques, personne d’autre que feu la principale intéressée n’aurait pu être juge de bonne foi, et je ne doute pas qu’Olivier Dahan a fait le maximum pour rester dans une réalité historique implacable. Or, c’est dans la manière de rendre compte de ce destin qu’on peut y trouver à redire.


Évoquons deux points : d’un côté, la narration non chronologique qu’adopte le film, et de l’autre le ton utilisé pour l’évoquer. En réalité, ces deux éléments ne sont que deux aspects d’un même problème.


D’abord, en effet, le film ne va pas dans le sens du temps. Pour autant, Simone, le voyage du siècle ne nous perd pas et l’on sait toujours où on en est. Il faut dire que chaque borne chronologique où l’on s’arrête est un jalon fondamental de l’histoire de France. Mais si l’intégralité des 2h20 de film effectue des allers-retours temporels entre les époques c’est là un choix à double tranchant, car évoquer cette vie si riche en sautant des étapes pour y revenir plus tard ne nous permet pas d’avoir toutes les clefs en main pour espérer voir la vie au travers du spectre de son héroïne. Ainsi, on ne comprend qu’à la fin du film que l’homme malingre, atteint du sida, fait s'effondrer Simone Veil en larmes car il ressemble aux détenus des camps de la mort. Le lien se fait à posteriori, et c’est dommage car la scène aurait bénéficié à être placée dans l’ordre chronologique et son effet émotionnel aurait été plus important. Mais au-delà d’une question cinématographique, c’est un problème d’un autre ordre qui se pose.

Ne pas montrer les événements dans l’ordre chronologique, c’est choisir de ne pas montrer les camps de concentration au début. D’ailleurs, Cahan ne les évoque qu’à la toute fin. Mais c’est là manquer un point fondamental dans la vie de Simone Veil : la violence et la mort en sont les racines. Pourtant, à travers elles, l’espoir et l’humanité persistent.


L’effet que cela a sur le ton du film, c’est de sembler longtemps trop léger, voire franchement niais. On ne voit qu’une femme, riche, qui laisse s’échapper une larme en contemplant pensivement la mer. Le tout est accompagné des partitions assez mauvaises d’Olvon Yacob, et parsemé de lignes de dialogues plutôt faibles. Outre le cliché cinématographique que cela représente, c’est surtout un réel outrage à la mémoire réelle de Simone Veil.

S’il est aussi important d’insister sur les camps, c’est parce qu’ils sont de loin l’élément le plus traumatique qu’un être humain ait pu connaître. Pour le cas de Mme Veil, la Seconde Guerre mondiale étant intervenue à ses seize ans, les camps ont été la porte d’entrée de sa vie. Par la force des choses, tout ce qui a suivi dans sa vie s’y rapporte : les menaces de mort reçues pendant la loi sur l’IVG, la compassion à tout épreuve qu’elle éprouve pour les détenus et, bien sûr, sa force de caractère générale.


Les choix opérés par Dahan de destructurer la temporalité et d’aborder le film avec quelques clichés de cinéma léger ne sont pas simplement des fautes de goût, mais cela pose de réels problèmes éthiques. Si l’on veut évoquer Simone Veil, il faut évoquer les camps. Bien sûr, montrer une telle abomination au cinéma est un casse-tête, et beaucoup s’y sont cassé des dents. Olivier Dahan ne s’y refuse pas, mais l’évoque à la fin. Il en fait l’acmé de son film, le climax. Or, n’oublions pas que nous parlons ici avant tout de la vérité historique, et que cela dépasse sans doute la seule envie de faire du cinéma.


Evidemment que les scènes dans les camps sont saisissantes. Elles vous prennent par les émotions et vous font chavirer le cœur. Entendre à l’unisson les sanglots de toute une salle de cinéma, c’est un fait rare dont les talents d'Olivier Dahan et de Rebecca Marder sont responsables. Mais cela intervient trop tard, lorsque l’image de Simone Veil que le film a communiqué jusque-là est plutôt celle d’une vieille bourgeoise bien habillée et sur qui échoient beaucoup de responsabilités. On ne perçoit que trop tard la dimension terrible de son expérience de vie.


Cela ne rend pas le film mauvais. Les 2h20 sont passées vite et ont été très instructives, sans compter sur les dernières dizaines de minutes qui ont fait de la salle un vrai pleuroir. Mais il me semble qu’il est faux, non pas par la vérité effective de ce qu’il met en scène, mais par sa manière de le mettre en scène et de nous le dérouler.


Je ne pense pas que ce soit ici pinailler que de faire ces reproches au film. Après tout, ce n’est qu’une affaire de montage dont la plupart des spectateurs se moque allègrement. On devrait plutôt s’attarder sur Elsa Zylberstein qui sait être prodigieuse dans certaines scènes. Mais le montage est ici affaire d’éthique. Il me semble que vouloir faire un film sur une personne, qui que ce soit, c’est avant tout s'intéresser à son essence, à qui elle est vraiment. Occulter pendant deux heures la violence effroyable dans laquelle Simone Veil a grandi, c’est passer à côté de ce qui l’a forgée. Montrer ses combats est un chose importante, qui plus est au vu de l’ampleur desdits combats et de leur influence, mais faire en sorte qu’on les comprenne et qu’on suive Mme Veil dans sa lutte indéfectible pour la dignité humaine en est une autre, à côté de laquelle le film passe pendant trop longtemps.

emimile01
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le 17 oct. 2022

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