Silence …ou l’aveuglement de la foi.

Ralalah ! Mais que ça va être compliqué pour moi de vous parler de mon impression face à ce « Silence » ! Bon, c’est vrai, ma seule note de « cinq étoiles » pourrait suffire pour vous faire comprendre que, globalement, je n’ai pas été enjoué par ce film (et c’est un bel euphémisme). Parce que oui, pour tout dire dès le départ, je me suis quand même bien fait chier (et pas qu’un peu), j’ai eu beaucoup de mal à voir où le gars voulait vraiment en venir, et en plus de cela, j’ai parfois un peu tiqué sur des aspects que j’ai trouvé un brin douteux… Mais bon, voilà, malgré tout ça, ça reste quand même du Scorsese ce film ! Déjà, moi, je trouve ça vraiment très beau. Pas mal de plans sont à tomber (notamment celui renversant de cette barque vue du ciel, avançant vers le soleil, mais avec un orage sur le chemin. Je trouve ça tellement riche de sens ! Tellement dans le ton de la peinture religieuse auquel le film cherche à s’attacher). A cette belle science de l’image s’y associe souvent un usage astucieux du son. Parfois les sons disparaissent, parfois certains sont surrappuyés par rapport à d’autres, ce qui génère des fois des ambiances vraiment envoutantes. Et puis – allez je l’avoue – je trouve aussi que cet univers est, de mon point de vue, vraiment fascinant. Marier un monde de premiers chrétiens à celui de ce Japon médiéval, c’est quand même assez saisissant et ça donne lieu parfois à des atmosphères grandioses. Donc voilà, en gros c’est pour cela que je vais être assez mal à l’aise pour parler de mon global désagrément concernant ce film. Relever tout ce qui m’a posé problème tout en repensant à ce qui m’a enchanté, c’est vraiment délicat. Le pire c’est que, franchement, ça aurait pu passer. Parce que l’air de rien, ce film me rappelait quand même grandement une autre œuvre de Scorsese à la démarche assez proche, sa fameuse « Dernière tentation du Christ ». Et cette « Tentation », franchement, moi je l’avais bien aimée, alors que pourtant, d’habitude, j’ai une certaine « sensibilité » dès qu’un film se risque à tout zèle de bigoterie. Là, avec ce « Silence », on navigue plus ou moins dans les mêmes eaux. On retrouve une fois de plus un prêcheur solitaire cherchant à transmettre sa foi en un lieu et en une époque où cela n’avait rien d’évident. D’ailleurs, les questions abordées dans ces deux films sont presque identiques : il s’agit de questionner la détermination et la foi du prêcheur solitaire ; la pertinence de son abnégation alors que tout l’invite à abandonner et à renier son dieu… Et bizarrement, ce n’est pas forcément cet aspect qui m’a dérangé le plus. Certes, Scorsese regarde un petit peu ce qui l’arrange dans ce Japon du XVIIe siècle, mais d’un autre côté on regarde aussi cette situation du point de vue de son personnage principal, donc pourquoi pas… Non, finalement, ce qui m’a dérangé dans ce film, c’est qu’au fond Scorsese sache à ce point nous montrer qu’il a perçu toutes les limites de ce genre de démarche bigote mais que, malgré tout, il y aille quand même ! Ce personnage principal, moi, j’étais prêt à m’ouvrir à ses problématiques, mais à condition que le film sache révéler toute l’ambigüité et toutes les incohérences de ses positions. Or, ça le film, le fait… mais pour se rétracter ensuite à chaque fois. Certes, dans « Silence », le personnage de Kichijiro illustre magnifiquement toute l’absurdité morale de la logique d’absolution. Mais d’un autre côté, Scorsese s’arrange pour qu’à la fin


Une justice divine s’applique quand même contre lui puisqu’il sera trahi par le port d’une idole.


Certes, il y a bien des personnages parmi les autorités japonaises qui sont là pour démontrer toute la fermeture d’esprit, le dogmatisme et l’arrogance des pères jésuites à venir évangéliser un pays sans se soucier de la culture qui y est déjà en place, il n’empêche que d’un autre côté, les pourfendeurs de la culture japonaise ne sont montrés qu'au travers du prisme de l'oppression, et ne sont présentés eux-mêmes que comme arrogants et cruels.


Certes, le personnage de Rodrigues va bien être confronté à son mentor, le père Ferreira, ce qui ouvre une sacrée piste au doute. Mais une fois de plus, il n’empêche qu’au final ledit Ferreira ne sera jamais présenté comme un véritable apostat. Il doute. Il se trahit même sur le fait qu’il n’ait pas vraiment renié Dieu dans son cœur malgré toutes ses années, bref Ferreira est présenté comme quelqu’un se sachant dans l’erreur. Alors après, pourquoi pas ? Mais ça aurait été tellement plus éprouvant pour le personnage principal et nuancé pour le spectateur que d’avoir à faire à un personnage de Ferreira totalement convaincu par son rejet de la foi !


Bref, à chaque fois ce fut la même chose. A chaque fois, Scorsese avait les clefs pour faire de ce « Silence » un film ambigu, un film universel… Mais non, en fin de compte il a préféré le réduire à un film flou ; d'un film plus complaisant au final qu'il n'est véritablement interrogateur.


Le simple fait que le film se termine par un crucifix dans les mains de Rodrigues suffit pour moi à tuer tout l'intérêt de l'intrigue. Quand même quoi ! Vraiment Scorsese n’a pas pu s’empêcher ! Il a fallu qu’au dernier moment il nous dise : « Non mais je vous rassure ! En fait il n’a jamais douté ! On l’a juste forcé à se taire ! Au fond de lui c’était toujours un « vrai » ; un gars qui avait la foi ; parce que c’est inconcevable que des gens renient sincèrement leur foi ! »


Alors du coup, forcément ce « Silence » me frustre parce que d’une part , moi le sans-foi il m'exclut presque de-facto (mais encore passons). Mais en plus, ce « Silence » m’horripile aussi parce que son propos final est au fond assez malhonnête ; en mode « doute mais pas trop ». Et enfin, surtout, ce « Silence » m’exaspère au plus haut point parce qu'au fond, j'ai l'impression que cet aspect « film pour épargner les croyances » impacte aussi la forme, expliquant notamment de nombreuses « largesses » formelles fort mal venues. Qu’on passe plus d’une heure en plein de milieu de la campagne à observer la beauté de ces premiers chrétiens touchés par la foi, pour moi ça ne se justifiait pas. Qu’on ne regarde la chrétienté de ces gens là qu’au travers de la seule question de la foi, et qu’on exclut du coup des angles sociologiques, politiques, culturels, moi je trouve que ça biaise toute la démarche et empêche de créer un vrai univers de questionnement. Pire, je trouve que ça assèche l'univers et le ressenti de ce choc des cultures. Tout ça au service de quoi ? Tout ça au service d'une démarche de foi qu'on entend épargner chez les spectateurs. Alors après, certes, je n'ai rien contre la démarche, mais quand ça nuit à ce point au contenu et au propos final de ce film, je trouve ça quand même sacrément triste. Que la mise à l’épreuve du personnage principal soit si longue ; que l’opposition japonaise soit si monolithique et calqué sur le modèle de la passion du Christ menée par les Romains ; que la rencontre avec Ferreira mette plus de deux heures à se produire ; qu’il n’y ait finalement plus de flou que d’ambiguïté sur le bien-fondé de la foi du personnage principal ; tout ça, pour moi, ça tue le chef d'œuvre qu'aurait pu être ce film. Ça le rend long, lent, chiant, étroit d’esprit, alors qu’il est pétri de qualités formelles – et même narratives – qui ne demandaient qu’à rentrer en écho avec une œuvre davantage conciliante et ouverte à l’égard de son public. Bref, ça m’attriste de le dire, mais pour moi ce « Silence » ne m’apparait au final que comme un film limité et bridé, qui a mis en œuvre beaucoup de belles choses mais pour une démarche globale qui n’est pas du tout à la hauteur de l’événement. Ça peut mériter le déplacement pour les véritables curieux du cinéma, certes, mais malheureusement au risque de pas mal décevoir et frustrer. A savoir…

lhomme-grenouille
5

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le 17 sept. 2017

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